Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



lundi 14 mai 2012

1229 : un code judiciaire pour Bruxelles


Bruxelles
C’est en 1229 que l’on trouve l’une des plus anciennes lois judiciaires écrites de Bruxelles. Cette loi que l’on appelle Keure, Ceure ou Core fut donné aux bourgeois par le duc de Brabant, Henri Ier.

Né vers 1165, Henri 1er, fils de Godefroid III, va régner près de soixante ans. Duc de Basse-Lotharingie, il ajoutera à ce titre celui de duc de Brabant. Ses successeurs conserveront cette désignation.

En 1179, Godefroid III et le comte de Flandre, Philippe d’Alsace négocient le mariage d’Henri. Il épousera la nièce de Philippe, Mathilde, fille du comte de Boulogne.

Les jeunes mariés recevront en cadeau de mariage, Bruxelles, Vilvoorde, Uccle, Ruysbroeck, et tout ce qui se trouve entre la Senne et la Flandre.

Bruxelles sera leur résidence, ils s’installeront dans le nouveau château construit sur le Coudenberg, l’ancien château de l’île Saint-Géry ayant été abandonné.

Désormais, avec eux, le Brabant va acquérir une importance nouvelle.

Aimé par le peuple, soutenu par les bourgeois, protecteur des lettres, Henri possède un esprit ouvert aux grandes idées. Durant son règne, il concédera de nombreux privilèges et veillera toujours aux intérêts commerciaux de ses sujets. Louvain et Bruxelles lui devront leur prospérité. C’est à lui encore que vers 1200, l’hôpital Saint-Jean paraît devoir son existence.

Revêtu de la croix, Henri 1er s’était déjà rendu en Palestine en 1189, il y repartit en 1197. En Terre Sainte, il allait combattre, selon son expression, les Sarrasins visibles et invisibles. Placé à la tête des Croisés, il remporta, le 23 octobre de cette année-là, une brillante victoire sur le frère du fameux Saladin, l’émir Saphadin. Cependant, au même moment, arrivèrent de ses états, des nouvelles inquiétantes. Elles l’empêchèrent de continuer cette croisade.

Revenu au pays, il mena une politique d’agrandissement et d’enrichissement de ses terres. Pendant toutes les années de son gouvernement, il signera de nombreuses chartes. Celles-ci le placeront au premier rang des fondateurs des libertés. Parmi elles, il en est une, datée de 1229, qui est la première loi judiciaire écrite du pays.
Avant ce nouveau code pénal, la loi des Francs Saliens s’appliquait aux habitants. Ce souvenir de l’ancienne législation germanique, permettait aux coupables de se racheter des plus grands crimes par des indemnisations financières estimées selon l’importance de la victime et la nature du délit. Malheur aux « sans-le-sou ». Les coutumes adoptées un peu plus tard par la bourgeoisie voulaient au contraire que les individus convaincus de meurtre, de viol, d’incendie, de rapt, d’infraction à la paix, fussent punis de mort et de confiscation, à moins qu’ils n’eussent femme ou enfant.


Le tout nouveau recueil judiciaire, désiré par le duc, changeait tout cela. Enfin, un code écrit d’après lequel les juges décidaient de la condamnation. Pour le justiciable de l’époque, cela représentait une véritable révolution. Les peines se trouvaient adaptées suivant le délit et non plus suivant le coupable. Une justice plus égalitaire, en somme.

Quelques peines tirées de cette Keure, par leurs côtés inaccoutumées, m’ont semblé intéressantes à signaler au lecteur.

Art 6 : une femme qui frappait un homme était condamnée à une amende de 2 schillings, ou portait certaines pierres marquées d’une paroisse dans une autre.

Ces pierres de justice ou pénales, Damme en a conservé deux que l’on peut voir à côté de son hôtel de ville. Ces pierres-là pèsent 8 kilos mais certaines pouvaient voir ce poids tripler.

L’article 7 de cette Keure donne de nombreuses garanties aux bourgeois pour la sûreté de leur personne et de leurs biens.

Ainsi, tout habitant qui était attaqué dans sa propre maison pouvait impunément tuer l’agresseur.

Mais l’article 14 dit :

Tout recours à la force brutale pour obtenir justice était punissable ; le Blessé (entendez la victime) devait se plaindre au juge (amman ou autre) ; l’accusé avait 3 jours pour se justifier et le même délai était donné au juge pour instruire la cause.

Le viol et l’infraction de trêve étaient punis de supplices affreux, dans le premier cas, la tête du coupable était séparée du tronc par une scie de bois (art 15), dans le second cas : il était écartelé (vierendeels) (art 16)

Est-ce l’origine du nom de famille : Vierendeels ?

Cette loi inédite et progressiste – pour l’époque - sera toujours considérée comme la base de la législation bruxelloise.

Bien après, dans son testament politique, en 1261, un successeur, le duc de Brabant, Henri III, déclara que dorénavant tous les hommes de la terre de Brabant seraient traités par loi et par sentence. Ceci complétait l’œuvre commencée par son aïeul, Henri 1er.


Sceau d'Henri 1er

mercredi 2 mai 2012

L'incendie du palais des ducs de Brabant


Dans les caves du palais, pendant la nuit du 3 au 4 février 1731, éclata un terrible  incendie qui se propagea avec tant de rapidité, qu’en peu d’heures il ne resta de cette vaste et célèbre résidence des ducs de Brabant qu’un amas de décombres.  Des immenses richesses de toute nature qui y avaient été accumulées depuis des siècles, il ne restait plus rien.  La perte la plus regrettable fut celle des nombreux tableaux de Rubens que contenaient la galerie.  A la destruction du palais, échappa, par miracle, la magnifique chapelle, chef-d’œuvre d’architecture, construite sous le règne de Charles-Quint.  Elle continua à subsister jusqu’en 1775. Elle fut démolie, lorsqu’on construisit sur son emplacement et sur celui de la cour des Bailles qui annonçait le palais, l’actuelle place royale et le parc.  La lettre suivante adressée au prince Eugène par le général de Bauffe, ingénieur en chef de la cour est un rapport exact et détaillé sur ce désastre.

Le palais accompli

L’orthographe du général, ne parlons pas de son style, est quelque peu excentrique ;  il n’est pas conseillé du tout de la suivre.  - C’est d’époque - J’espère l’avoir cependant respectée - sans faute ou presque - demandant par avance au lecteur et au général, de bien vouloir me pardonner, si par hasard, manie, distraction, ou encore par habitude seulement, j’ai rectifié certains mots.  Mais tout cela n’est qu’affaire fort secondaire – besogne de spécialistes -  anecdotique tout au plus, oublions vite cela.  Le plus important ici, est le contenu, un témoignage plus que vivant sur la disparition de ce palais extraordinaire qui fut la fierté de ses occupants et le témoin de l’histoire de l’Europe pendant plusieurs siècles.

Au temps de Maximilien

«   Monseigneur,
Je ne doutte pas ou Votre Altesse aurat appris la facheuse nouvelle de l’incendie arrivée  a la cour de Bruxelles, la nuict d’entre le 3 et le 4 courant, ou le feu consomma par ses flammes en six heures de tems tout le palais entier, sans rien avoir laissé autre que les murailles de la cour d’entrée, ou etoit l’horloge, les murailles du salon et ceux de la chapelle avec sa voutte ; et j’ai fait massonner dans la cave des murailles sous les pilliers qui soustiennent ceux de la chapelle, qui etoient calcinnez par le feu du magasin a charbons, que s’ils auroient croullé, la belle chapelle auroit sans doutte croulé de meme, ce qui est présentement rasseuré.  Il ne reste aucunne muraille en son entier, tout est brulé, calcinné et croulé jusqu'à raze des fondements ; pour les batir on doit commencer du bas, et le peu de murailles qui restent, doivent etre jettées  embas ou elles tomberont avec le dégel.  L’on croit cet accident arrivé par les domestiques du cotez de la cuisinne ou confiturerie, ce qui d’ordinaire arrive que de cent incendies nonante neuf proviennent de la negligence des domestiques.  Les sentinelles de douze a deux heures n’ont rien vus ny entendue, ceux qui ont relevé a deux heures, ont entendue le quart apres sonner une cloche d’argent au quartier de S. A., qu’on suppose d’elle ; un moment apres on entendit du bruit du cotez des archers, qui s’etoient appercus de la fumée, la sentinelle criat alerte, et tira deux coups de fusil, l’officier de garde envoia reconnoitre, dabord on s’appercut du feu, il fit toucher l’alarme autour des bailles de la cour, envoiat avertir le gouverneur, major de la place, et fit hurter à l’abbaye de Caudenberg pour qu’on auroit donné le toxin avec les cloches, mais comme l’abbaye est dans un bas, il fut pres de trois heures avant qu’ils ne l’aient touché.  Pendant ce tems, etant lors environ deux heures et demy, l’officier envoya des grenadiers dans le quartier de S. A. ou ils trouverent les portes fermées et avoient avec eux des archers, un valet de garde de S. A. qui etoit en dedans, accourut ouvrir la porte, et un grenadier se tenant prêt a entrer dabord la porte ouverte, une fumée mellangée de flames lui brula le poil de son bonnet et de sa moustache.  La serenissime archiduchesse etant deja en allarme, n’eut que le tems de chausser un bas, mettre une juppe, et une robe de chambre fort legere, et se retira du cotez de la chapelle, ou elle resta tres peu, et fut ensuite chez le prince de Rubamprés, et comme le feu pour lors commencat a paroitre par plusieurs fenêtres, se communiquant de l’une des chambres à l’autre, par les plancher et boiseries, qui etoient tous d’un vernis qui prend feu comme la poudre, tout etoit en flammes, vers les trois heures le vent assez fort qui emporta des charbons jusqu’à sur le toict de la maison ou etoit Son Altesse l’obligea de se retirer à l’hotel d’Orange, ou elle est encor presentement.  Depuis les deux heures un quart jusqu’à vers les trois heures l’on sauva des papiers, quelques meubles, et deux coffres en lequel on jugea qu’il y avoit de l’argent par rapport à leur pesanteur, qui furent portez à la garde et ensuitte transportez au palais d’Orange avec d’autres meubles, mais les principaux sont restez et consommes dans les flammes.  S. A. at aussi eu une cassette ou il y avait une partie de diamants, mais comme le lendemain on devoit donner bal a la Cour, on avoit garnis un habit de diamants pour S. A., lequel at été consommez dans les flames, et l’on a decouvert hier les cendres des gallons et franges dont led habit etoit garnis, et trouvez dans la poussiere qu’on fait tamiser 20 diamants et aujourdhuy neuf, partie obscurcis par le feu, et d’autres pas, mais ceux qui sont attaquez du feu, ne coutront que la peine de les faire passer sur le moulin et r’auront leur lustre comme devant, et n’y aura de perte qu’environ huit grains par cent.  Lade Altesse avoit eu un present de la Reine de Portugal de pierres precieuses de differentes couleurs qu’on croit n’avoir pus resister aux flames.  L’on vient de trouver 10 goblets d’argent vermeil, hors desquels boit S. A. La dorure est gatée, mais rien d’offensez aux goblets.  Les diamants restez dans les flames ont etez en trois differents endroits, ce qui causerat un travail de long haleine parcequon doit allez a petit pas et tamiser le tout.  l’on a mis des sentinelles a l’entour du palais, affin que personne n’en approche, et la ou sont les diamants l’on a 2 adjudant de la cour avec des domestiquez affidez qui restent jour et nuict sur le lieu, on leur a fait une loge de planche, et observent les cinque ouvrierz qui ostent et transportent les débris, n’en pouvant pas mettre davantage, pour pouvoir bien observez.  Dans l’intervalle du feu un chacun y est venus, mais il etoit un peu tard par rapport qu’il etoit les deux heures et trois quarts avant que les cloches de la ville n’aient sonnez le toxin.  Le gouverneur y fut des premiers, et n’avoit guerre de monde pour l’assister du commencement, et comme le feu etoit si violent par les boiseries vernies, comme j’ai dit cy devant, et que le vent contribuait, de meme que la seiche gellée, qu’un chacun avoit ses appartements separez par des planches de sapin, de meme que le grenier, remplis du bois d’un theatre, fait pour l’inauguration de S. M. , enfin tout contribuoit pour la devoration de ce palais.  L’on eut 2 pompes ou seringues, qui etant remplies d’eau n’etoient pas en etat, et celles de la ville et couvents arrivant seulement vers les trois heures, le feu etoit deja pour lors pres du corp ,de garde, ou on les fiit jouer sans effect a cause que le feu etoit trop violent, et tout ce qu’on put faire fut d’empescher que le feu ne prenne aux maisons de Borgendall et a l’eglise de Caudenberg, pour lesquels le comte de Wrangel, accompagnez du duc d’Aremberg, fit abattre une maison, comme aussi la gallerie de communication de la cour a l’eglise de Caudenberg, et celle du cotez du grand salon allant chez l’audiencier Cuvelier, et l’on fit venir des canons et poudre pour s’en servir au besoin.  Il y eut quelque petitte mesentende entre les bourgeois et les militairs, qui fut dabord finie, c’est que beaucoup de petittes gens, femmes et enfants, qui dordinaire ne viennet que pour voire ou pour voller, les soldatz qui devoient garder les meubles et paiers qu’on apportoit, etoient obligez deloigner ce peuple inutile, et laisser approcher les ordres mandiants et gens de metiers ; telles affaires ne peuvent jamais etre conduittes sans confusio.  Le comte de Wrangel avoit commencez de tenir les informations, mais la cour lui at ordonnez d’en desister, se contentant d’un malheur sans vouloir enn attirer dautres.  Ainsi qu’on fut temoin dun si grand desastre qui ne finit qu’après que tout fut brulé, reservz le magasin aux charbons dans la cave sous la chapelle, qui a brulez jusqua Samedy passez, ou depuis Lundy j’ai fait massonner pour asseurer la chapelle d’un croullement.   La jeune comtesse d’Ullefeldt y a perdue la vie avec ses 2 filles de chambre ; elle est enterrée aux Pères Jesuites, regrettée dun chacun par rapport aux belles qualitees dont elle etoit douée.  4 couvreurs d’ardoise voullant faire oster les fenetres audessus du grand salon, quelques pierres tomberent et les blesserent tous quatre,mais les blessures ne sont pas mortelles.  Je vins icy samedy par ordre de S. A., qui m’ordonna dabord de voir la chapelle de la cour, pour la rasseurer et me chargeat ensuitte de prendre le plan de l’hotel d’Orange, celuy d’Egmont et la maison du prince Latour avec celle du marquis de Westerloo, ce que j’ai achevé hier.  Après avoir vus et examiné tous les endroits, S. E. le Grand Maitre vient de me dire qu’Elle a resolu de rester a l’hotel d’Orange et lui a la maison du marquis  de Westerloo.  Il me paroit que le choix est bon et qu’on ne pouvoit pas en faire de meilleur.  La princesse Latour est venue expres a Bruxelles pour offrir sa maison, ce qui at ete fort agreablement recus de S. A. comme aussi les etats de Brabant, qui ont plaint le malheur arrivez, avec offre de faire tout ce qui pourra dependre d’eux, affin que la cour puisse se rebastir, pour lequel il faudrat au moins quatre a cinque annees, lorsqu’il y aura de l’argent et des personnes pour le conduire avec vigueur. »   


Place royale