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Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



dimanche 18 décembre 2011

Les premiers locataires du Lambermont, 2e partie



Le 11 septembre 1805, l’hôtel de la rue ducale devint la propriété du marquis Georges de Trazegnies. 

Fils unique, Georges naquit le 6 mars 1762 à Namur.  Vers ses dix-huit ans, il traversa l’Europe, voyagea en Italie, visita l’Autriche où il occupa, fonction toute honorifique, la place de chambellan de l’impératrice.  A la mort de son père, en 1784, il hérite des biens et du titre de marquis.  Comme de nombreux aristocrates, il séjourne le plus souvent à Bruxelles.  Pendant la révolution brabançonne, il entretient une correspondance suivie avec l’un des chefs révolutionnaires, Henri van der Noot.  Mais son rôle durant ces événements resta, somme toute, assez modeste.

La révolution de 1789 et l’invasion des Pays-Bas par les Français, ont de profondes conséquences sur sa vie.  Il perd ses droits seigneuriaux et son titre.  Comme beaucoup alors, il émigre dans les états allemands.  Il ne revient à Bruxelles qu’en 1798. 

Sous le directoire, la fiscalité augmenta considérablement.  Le 6 août 1799, un impôt spécial de cent millions de francs fut décidé.  Ce prélèvement fut financé par un emprunt forcé auprès des gens fortunés.  Jouissant de très confortables revenus et propriétaire de nombreux biens, Georges de Trazegnies n’échappe pas à la contribution et se voit taxé de 10.000 francs.  Furieux, et pour éviter d’autres ponctions du même genre, il retourne en Allemagne.

Fin 1800, les mesures d’amnistie décrétées par Bonaparte, le font revenir à Bruxelles.  Cinq années plus tard, le 13 mai 1805, il épouse une jeune fille de dix-neuf ans, la comtesse de Maldeghem.  Quatre mois après, il achète pour 27.126 florins d’argent (47.412 francs) la maison de Pruvost.

Trazegnies nourrissait de grands projets pour sa nouvelle demeure.  Il sollicita et obtint de l’administration de la ville l’autorisation de déplacer la porte d’entrée de l’immeuble vers l’impasse latérale (rue Lambermont).  L’ancienne porte fut remplacée par une fenêtre et le hall fut converti en petit salon.  Ces transformations entraînèrent d’importants frais.  Le marquis dut paver la rue latérale et placer une nouvelle grille. Il se vit aussi dans l’obligation de creuser deux fosses d’écoulement d’eau, derrière la nouvelle grille et de les raccorder aux égouts.   

Ces améliorations augmentèrent considérablement la valeur et le prestige de l’hôtel.  La rue latérale devenait un accès privé.  Les visiteurs franchissaient la première grille, puis ils atteignaient une cour intérieure semi-circulaire, bordées de deux pelouses, avant de pénétrer dans l’hôtel.

Pendant le premier empire, les occupants de cette magnifique demeure jouèrent un rôle important dans la vie mondaine qui brilla autour du parc.  Lors de la visite de Bonaparte en 1803, le marquis fit partie de la garde d’honneur de Bruxelles.  Cependant, le nouveau régime suscitait encore bien de réserves parmi l’ancienne noblesse.  Malgré une invitation adressée aux membres de la garde d’honneur bruxelloise, le marquis n’assista pas au sacre de Napoléon en 1804. 
En 1808, après la nomination du nouveau préfet du département de la Dyle, le marquis de la Tour du Pin, on nota, chez de Trazegnies, un changement d’attitude.  Pendant la révolution française, la Tour du Pin s’était réfugié, quelques années, aux Etats-Unis d’Amérique.  Le charme exotique de cet exil volontaire et les bonnes manières, très aristocratiques, du nouveau préfet allaient faire disparaître chez le marquis de Trazegnies comme chez beaucoup d’autres, toute méfiance envers Napoléon.  Le charme de l’épouse du préfet, ancienne dame d’honneur de la reine Marie-Antoinette, aida également à ce changement d’attitude.

Le nouveau préfet devint le voisin de Georges de Trazegnies.  Très vite allait se nouer entre eux une grande amitié.

Lors du voyage dans les Pays-Bas de Napoléon en 1810, Georges de Trazegnies, soutenu par le préfet, fut nommé commandant de la garde d’honneur de Bruxelles.  Marié, en seconde noce, avec Marie-Louise d’Autriche, Napoléon avait regagné la sympathie de la société de l’ancien régime.  Le 14 mai, vêtue de vestes vertes et de culottes amarantes, la garde d’honneur, assura la réception du couple impérial.  Le soir, Georges de Trazegnies fut invité à jouer aux cartes avec l’empereur, l’impératrice et la marquise de la Tour du Pin.
Trois jours plus tard, Napoléon et sa suite quittèrent Bruxelles à bord d’un bateau de plaisance.  Voyant que l’empereur n’invitait pas le commandant de la garde d’honneur à monter à bord du bateau, le préfet lui chuchota qu’un ancêtre du marquis avait été connétable de Saint-Louis.  Napoléon ne resta pas insensible à ces paroles.  Sans attendre, il appela de Trazegnies et s’entretint longuement avec lui.  A la suite de cet entretien, la marquise de Trazegnies fut honorée du titre de dame d’honneur de l’impératrice.  Aussi, à l’annonce de la grossesse de Marie-Louise, les de Trazegnies partirent immédiatement pour Paris.  Madame de Trazegnies, dame d’honneur, se devait d’être près de l’impératrice.  En décembre 1810, le marquis fut, grâce au soutien de la Tour du Pin, élu sénateur du département de la Dyle.  Il devait exercer ce mandat honorifique jusqu’à la fin de l’empire.

Les faveurs accordées à la noblesse s’inscrivaient dans la vision politique de Napoléon qui désirait réunir sous une même couronne, les Pays-Bas et la France.  Ce rapprochement connut un certain succès dans la haute société.  Plus de la moitié des familles qui sollicitèrent l’accession à la nouvelle noblesse appartenaient à celle de l’ancien régime.  Avec les Ursel, Arenberg, Gavre, Mérode, Lannoy, Vilain XIIII, de Trazegnie fut promu comte d’empire.  Le marquis figurait encore sur une liste de candidats à la fonction de préfet.

A partir de 1811, nombreux furent ceux qui, dans les Pays-Bas, s’éloignèrent du régime français.  La régression économique et les charges militaires sans cesse plus lourdes n’étaient pas étrangères à ce retournement.  Ce ne fut cependant pas le cas de Trazegnies, qui semblait garder sa confiance en l’empereur.  Après la désastreuse campagne de Russie, dont ne revinrent que 30.000 soldats d’une armée qui en comptait 700.000, la fin semblait inévitable.  Quelques mois après une nouvelle défaite, à Leipzig, on assista à l’exil de Napoléon et à la restauration de la monarchie en France.  Pour le couple de Trazegnies, cela signifiait la fin de leurs projets.  Mais, ils restaient toujours fidèles à l’empereur déchu.  Aussi, s’indignèrent-ils grandement devant l’opportunisme de certains qui, après avoir profité des faveurs impériales se tournaient maintenant vers les nouveaux gouvernants.  Le marquis de la Tour du Pin avait rejoint la restauration et lors de son passage à Bruxelles, la porte de ses anciens amis lui resta fermée.

Après la chute de Napoléon, les grandes puissances décidèrent de recréer les dix-sept provinces telles qu’elles existaient du temps de Charles-Quint et qui avaient été l’objectif des ducs de Bourgogne.  Descendant de Guillaume le Taciturne, Guillaume 1er d’Orange devint roi de ce nouveau pays.  Guillaume 1er chargea le baron de Cappelen d’enquêter sur les personnalités les plus en vue des provinces du sud.  Pour ce nouveau gouvernement, le marquis de Trazegnies était un homme intelligent, railleur et étourdi.  Il possédait de nombreuses propriétés et disposait d’un revenu annuel de 60.000 francs.  Très connu et estimé dans les milieux aristocratiques de Bruxelles, il y était très redouté par la franchise de son langage.  Tout dans son attitude dénotait sa préférence pour le régime précédent.  En outre, Il était bourgmestre du village de Trazegnies, bien qu’il séjournât la plupart du temps à Bruxelles.  Ce rapport ne nuisit nullement à sa nomination comme chambellan de Guillaume 1er, ni à sa nomination comme membre de la première chambre.


Waterloo, le dernier carré
1815, Napoléon s’évade de l’île d’Elbe et reprend le pouvoir en France.  Cent jours plus tard, le 18 juin, il est définitivement battu à Waterloo.  Au cours de cette célèbre bataille, l’héritier du trône des Pays-Bas, le jeune prince d’Orange se révéla brillant commandant.  Blessé à l’épaule durant les combats, il est accueilli à Bruxelles par la population comme un héros.

Ce prince épouse, le 21 février 1816, la sœur du Tsar de Russie, la grande-duchesse Anna.  Le jeune couple se fixe à Bruxelles.  Il s’installe dans l’aile droite du palais de la nation.  Là, naît leur premier fils.  C’est la première naissance princière dans les provinces du sud depuis Charles-Quint.  Rapidement le quartier du parc devient le centre d’une véritable cour.  Le prince héritier ne dissimule pas sa préférence pour Bruxelles.  Dans les salons, où se côtoie toute l’aristocratie locale, se succèdent réceptions, bals et grands dîners.  Mesdames de Trazegnies, Vilain XIIII et de Lalaing, qui avaient joué un rôle à la cour de Napoléon, deviennent à présent les intimes de la princesse Anna.  Dans une haute société où règne la jalousie, ce petit groupe est rapidement affublé des sobriquets du « saint bataillon » et de « la vieille garde ».  La préférence marquée par le prince d’Orange pour la partie méridionale du Royaume et son goût pour la culture française font de lui un homme fort apprécié à Bruxelles, mais ne sert guère sa popularité dans le nord, où il n’hésite pas à tenir des discours en français que l’on ne comprend pas.  Il décide même d’éduquer son fils dans cette langue.  Le prince ne s’inquiète pas des conséquences politiques de ses agissements.  Ses bonnes relations avec les exilés bonapartistes et les opposants à son père constituent pourtant une menace pour la stabilité du pays.  L’amitié unit le prince et le marquis de Trazegnies.  Le marquis, membre de la première chambre, mène une opposition systématique au roi et à son gouvernement.  Il éprouve peu de sympathie pour Guillaume 1er et n’hésite pas à se moquer publiquement de ses ministres.  Lors d’un conflit ouvert entre le roi et son héritier, de Trazegnies n’hésite pas à prendre le parti du prince.  En novembre 1817, le prince qui était aussi ministre de la guerre, exige la démission du commissaire-général du département.  Avant de prendre une décision, le roi souhaite en discuter à la Haye.  Son fils refuse.  Il menace même de démissionner.  Guillaume 1er se rend à Bruxelles, mais le prince évite le conflit.  Il se retire en province chez son ami, le marquis de Trazegnies. 

Le prince d'Orange
                                                                     
A cette époque, Bruxelles commençait à se révéler trop exigu pour assumer son rôle de capitale.  L’administration, par conséquent, décida d’agrandir le centre de la ville. On procéda au démantèlement des fortifications et à l’aménagement d’un boulevard de ceinture.  Le tronçon parallèle à la rue ducale, entre la porte de Namur et la porte de Louvain, terminé en 1821,  fut baptisé boulevard du prince (l’actuel boulevard du régent).  Mais ces changements allaient compromettre sérieusement le caractère du quartier du parc et de l’hôtel de Trazegnies.

Joyeuse entrée de Guillaume 1er à Bruxelles (rue ducale)


A suivre…