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Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



mardi 29 novembre 2011

Les premiers locataires du Lambermont


Ce bâtiment, que l’on appelle familièrement « Le Lambermont » est un haut lieu de la politique belge.  L’immeuble sert de résidence au premier ministre.

Donnant sur la rue Ducale, la maison construite à la fin du dix-huitième siècle appartenait à un important projet d’urbanisation du quartier du parc et de la place Royale.  Construit en style néo-classique sous le règne de l’impératrice d’Autriche Marie-Thérèse, il servit de résidence particulière jusqu’à son achat par l’Etat en 1860.  Après de premières transformations qui diminuèrent son caractère, la résidence fut, en 1895, complètement métamorphosée.  L’intérieur acquit alors l’aspect que nous lui connaissons actuellement.  Au vingtième siècle l’hôtel devint la résidence officielle des ministres du travail et de l’industrie et par la suite des premiers ministres.

Après l’incendie de l’ancien palais ducal, en 1731, les gouverneurs autrichiens s’étaient installés à l’hôtel de Nassau.  La cour brûlée, comme on appelait les restes noircis de l’ancien palais, et la Warande, espace boisé entre les ruines incendiées et la chaussée de Louvain, devinrent l’objet d’un grand projet urbanistique.  Donner à la ville un visage moderne, digne de la capitale des Pays-Bas.  L’aménagement de la cour brûlée, qui deviendra la place royale, fut confiée à l’architecte parisien Barré.  Comme celui-ci ne vint jamais à Bruxelles, la direction des travaux fut confiée à Barnabé Guimard.   Architecte à la cour, d’origine française, formé à l’académie royale d’architecture de Paris, Guimard s’était établi à Bruxelles en 1761.  L’espace sauvage de la Warande fut remplacée par un parc tiré au cordeau, à la manière de ceux de Versailles et des Tuileries.  Le contrôle de ce projet fut par la même occasion confié à Guimard.  
On ceintura le parc, sur ses quatre côtés, par de larges avenues : la rue Royale, la rue de Belle-Vue (aujourd’hui la place des palais), la rue de Brabant ( aujourd’hui la rue de la loi) et du côté des remparts, la rue ducale.  Cette dernière devait son nom aux statues des anciens ducs de Brabant qui s’élevaient à son extrémité.  On laissa à Guimard le soin d’urbaniser ces avenues.  Mais pour la réalisation de l’intégralité du projet, les fonds publics se révélèrent insuffisants.  Les autorités durent faire appel aux investisseurs privés.  Elles vendirent alors aux particuliers des parcelles de terrain autour du parc.  Les acheteurs devaient s’engager à respecter un cahier des charges aux normes strictes.  On organisa des ventes publiques décevantes.  La plupart des acheteurs hésitaient devant les trop nombreuses contraintes imposées par les autorités.  La parcelle portant le numéro 28, celle qui nous intéresse, figurait au nombre des invendues. 

Le parc de Bruxelles
                                                    

Le 16 décembre 1778, Pierre-Julien Pruvost, valet de chambre de Charles de Lorraine et fonctionnaire de la chambre des comptes, fit une offre de 500 florins d’argent pour cette parcelle.  Il tirait de son emploi de fonctionnaire, 1.120 florins par an, auxquels s’ajoutaient ses émoluments de valet de chambre et les gratifications généreuses du gouverneur.  L’offre fut acceptée par ses collègues de la chambre des comptes et par la ville de Bruxelles.  Quelques jours plus tard, notre fonctionnaire entrait en possession de la parcelle.  Pruvost réalisait là, une excellente affaire.

Sans attendre, on commença les travaux de construction.  Suivant les prescriptions des lettres patentes de l’impératrice Marie-Thérèse, Guimard dessina les plans de la façade de l’immeuble.  Carmon s’occupa des travaux.  Cet architecte prit parfois quelques libertés avec les dispositions du cahier des charges initial.  Une fois achevé, le bâtiment de style classique, présenta une forme cubique.  Pruvost raccorda la construction au réseau de distribution d’eau.

Homme fort avisé, Pruvost n’avait pas fait construire la maison pour son usage propre.  Aussi, le 9 septembre 1779, il signait devant notaire un contrat de location avec l’Anglais George Beauclerck, troisième duc de St-Albans. Le loyer s’élevait à 1500 Florins d’argent par an.

Ce Beauclerck était le petit-fils de Charles Beauclerck, enfant naturel du roi d’Angleterre, Charles II et d’une comédienne Eleanor Gwyn.  Celle-ci était née dans un quartier populaire de Londres, Covent Garden.  Enfant, elle fut serveuse dans une « maison ».  Avant de monter sur les planches, elle fit de nombreux petits métiers.  Jolie et spirituelle, ses rôles comiques attirèrent très vite l’attention du roi d’Angleterre.  Ce Stuart avait réouvert les théâtres, fermés par son prédécesseur, le puritain Cromwell.  Si Charles eut de nombreuses maîtresses, il resta cependant fidèle à Eleanor jusqu’à sa mort.  Il anoblit les deux enfants qu’ils eurent ensemble.  C’est ainsi que l’un d’eux Charles Beauclerck né en 1670, devint le premier duc de St-Albans.  Eleanor mourut en 1687. 

Eleanor Gwyn
                                                                        

Son arrière petit-fils George naît en 1730.  Après des études à Eton, il prend à son tour, le titre de duc à la mort de son père en 1751.  Un an plus tard, il se marie.  Vers 1756, il quitte son épouse.  Après avoir visité l’Europe, il arrive à Bruxelles.  Dans cette ville, ses exploits lui valent un fils naturel qui décède rapidement.  Déjà célèbre pour ses prodigalités et ses extravagances, on le retrouve à Eppegem, en1758.  Deux ans plus tard, il s’installe à Saint-Gilles-lez-Bruxelles.  Le duc a la Passion ruineuse des objets précieux, il les collectionne avec une sorte d’exaltation.  Bruxelles doit bien lui plaire car il se lance dans la construction d’une habitation à Laeken.  Malheureusement ses trop nombreuses et coûteuses dépenses l’obligent à abandonner le projet.  Le manque d’argent et les réclamations continuelles de ses créanciers, contraignent l’excentrique aristocrate à regagner pour quelques temps l’Angleterre.  

Là-bas, il retrouve toutes les prérogatives de son rang et lors de l’intronisation du nouveau roi, il a, dans la cathédrale de Westminster, l’honneur de porter l’épée de l’Etat.  Le décès de sa femme, en 1778, lui laisse un très bel héritage.  Il en profite, aussitôt, pour revenir à Bruxelles.  Décidément cet Anglais aime cette ville.
La grande maison moderne que Pruvost mettait en location était parfaite pour lui.  Le duc s’y installe avec sa maîtresse.  De cette relation, deux filles naissent, Rose et Anne-Amélie. 
Dans toutes les grandes pièces, on surmonte les cheminées de grands miroirs, les fenêtres sont décorées de beaux rideaux blancs et les murs sont tendus de différents tissus de grandes qualités.  Le mobilier est riche.  Des grandes et petites tables, des sièges en acajou, des coffres, des secrétaires et des paravents laqués garnissent les pièces.  Dans les écuries, l’attendent tout un attelage de sept chevaux hongrois noirs et un certain nombre de chevaux de différentes couleurs.  George possède encore plusieurs chevaux de selle, dont « un cheval entier Hanovrien de la plus belle espèce et de la plus grande beauté ».  Sa cave est également loin d’être dépourvue.  Toujours passionné par les objets précieux, il transforme très rapidement l’habitation en une galerie d’art.  Horloges londonienne à balancier, pendules serties de diamants, fine porcelaine, argenterie et toutes sortes de bibelots rares en or en argent ou ambre viennent enrichir la demeure aristocratique.  Une collection de 146 tableaux complète le décor, parmi ceux-ci : une dizaine de Canaletto, un Rubens, un David Teniers, trois Van Dyck.

Le 2 février 1786,  le duc décéda dans  son hôtel de la rue Ducale.  La famille déclara son testament illégal.  Ses deux filles furent déshéritées.  Son cousin germain prit le titre de quatrième duc de St-Albans.  Son corps fut transféré en Angleterre et inhumé, comme ses ancêtres, dans l’abbaye de Westminster.  Ses biens bruxellois furent mis en vente publique, laquelle rapporta aux héritiers, la somme de 7.150 florins d’argent.

Armoiries de George Beauclerck

Durant cette période, Pierre-Julien Pruvost avait perdu une partie non négligeable de ses revenus.  Charles de Lorraine était mort.  Marie-Thérèse avait nommé sa fille Marie-Christine et son mari, gouverneurs des pays-Bas.  Certes, Pruvost resta valet de chambre mais il vit son salaire diminué et ne bénéficia plus des petits extras prodigués par le généreux Charles.  Après le décès de son premier locataire, Pruvost se mit à la recherche d’un successeur.  Le 26 septembre 1786, devant notaire, il signa un bail avec Emmanuel Siprutini, commerçant italien.  Il en profita pour augmenter, le loyer annuel, de 100 florins d’argent.  Le commerçant italien ne séjourna que peu de temps dans la maison.  Assez vite, il céda son contrat à un monsieur Ross.  En 1788, Pruvost signait un nouveau bail avec un certain Jean Geelvinck, le loyer fut, une fois de plus, augmenté de 100 florins d’argent. 

En 1789, commença pour le propriétaire des lieux, une période sombre.   Il eut  d’abord, la révolution brabançonne ensuite, en 1792, les armées révolutionnaires françaises se jetèrent sur le pays et enfin, en 1795, la France annexa les provinces.
L’ancien régime connut de cette manière, une disparition soudaine.  Le changement ne se manifesta pas seulement dans une nouvelle forme de gouvernement, mais aussi dans un certain nombre de modifications dans la vie journalière.  L’introduction du calendrier républicain et la modification des noms de rues furent de ces innovations.  La rue de l’Egalité remplaça la rue Ducale.  Sur la place Royale, la statue de Charles de Lorraine fut renversée et on planta à sa place un arbre de la liberté.  L’industrie, le commerce et l’agriculture connurent une crise, environ sept cents rentiers quittèrent Bruxelles.  Ce mouvement d’émigration accentua le malaise général.

Pruvost fut l’une des nombreuses victimes de la nouvelle situation. Il avait perdu son emploi.  Sa maison de la rue de l’Egalité ne trouvait plus de locataire.  A cela s’ajouta, l’augmentation de l’impôt foncier.  L’offre surabondante des locations entraîna une baisse de 75% des loyers.  Faute de locataire, le bâtiment servit de logement aux soldats français.

Pruvost mourut à cette époque, son épouse décéda à son tour en 1805.  Le couple n’avaient pas d’enfants. L’héritage se partagea entre les deux frères et la sœur de Madame Pruvost.  Ces derniers mirent en vente la maison de la rue Ducale.

A suivre…

lundi 14 novembre 2011

Un dauphin de France à Bruxelles, dernière partie

La cour de Bruxelles
                             
Au mois de juillet de la même année, promise depuis six ans au dauphin, Charlotte de Savoie arrive à Namur.  La jeune fille a quinze ans.  A l’occasion de cette réception, on célèbre une grande cérémonie religieuse. 

Et le 13 décembre 1458, malgré leurs différents, Louis annonce à son père la grossesse de Charlotte : «  Grâce à Dieu, je puis vous le signifier, ainsi que je le dois, comme chose sûre, car elle a senti plusieurs fois bouger son enfant, ce dont vous serez bien joyeux.  Et qu’il vous vous plaise m’avoir et me tenir toujours en votre en votre bonne grâce et me mander vos bons plaisirs pour que je les puisse accomplir. » .

En juillet 1459, la dauphine accouche d’un fils au château de Genappe.  Le dauphin s’empresse de l’écrire au roi.  «  Mon très-redouté seigneur, il a plu à notre béni Créateur et à la glorieuse Vierge sa mère de délivrer aujourd’hui ma femme d’un beau fils, dont je loue mon béni Créateur, et le remercie très-humblement de ce que, par sa clémence, il lui a plu si bénignement me visiter, et me donner connaissance de ses grâces et bontés infinies.  Laquelle chose je vous signifie en toute humilité, afin de toujours vous donner de mes nouvelles et encore plus quand elles sont bonnes et joyeuses, comme raison est, et comme j’y suis tenu. ». 

Dans une lettre, le roi félicite le dauphin. 

A Bruxelles, le duc fait éclater un bien plus grand enthousiasme à l’annonce de l’heureux événement.  Pour la bonne nouvelle, l’envoyé du dauphin reçoit mille écus d’or.  Partout, on chante des Te Deum.  Des feux de joie sont allumé.  Le dauphin a choisi pour parrains du nouveau-né, Philippe et le sire de Croy.  Madame de Ravenstein aura l’honneur d’être marraine.  On baptise l’enfant, que l’on nomme Joachim, dans l’église de Genappe.  Dans cette petite église, jadis, avait été baptisé Godefroid de Bouillon.  Un heureux présage pour la croisade projetée ?  Dignes de la cour de Bourgogne, les présents offerts  à cette occasion sont magnifiques. 
Malheureusement, quatre mois plus tard, l’enfant va mourir.  On l’inhumera dans l’église de Halle.  A Bruxelles, le duc fera faire ses obsèques.

L’hospitalité généreuse accordée au dauphin brouille sérieusement Philippe avec le roi de France.  Pour reprocher au duc sa conduite, Charles VII lui envoie, à plusieurs reprises, des ambassades.  La guerre menace entre les deux hommes.  De part et d’autre, des troupes renforcent les frontières.   

Fin décembre 1459, une ambassade, envoyée par Charles VII  arrive à Bruxelles.  La délégation conduite par l’évêque de Coutance sollicite une audience publique au duc.  Philippe accorde la demande des Français.  Patient, pendant plus de deux heures, il écoute le discours de l’ambassadeur.  L’évêque dit au duc le mécontentement du roi de France à son égard.  Selon Charles VII, Philippe, par ruse, avait attiré à lui le dauphin.   Il le détenait en ses pays contre le gré et la volonté du roi.  Lui, évêque de Coutance  était chargé par le roi de France d’exhorter formellement le dauphin à rentrer dans son devoir.

Dans la grande salle du palais, celle où plus tard Charles-Quint abdiquera, l’évêque d’Arras répond pour le dauphin.  Il ne montre pas moins d’éloquence que l’ambassadeur de France.  Il s’étend d’abord longuement sur les louanges du roi, sur ses conquêtes.  Ensuite, il parle de la tendresse du prince pour son père.  Après avoir rapporté tous les exemples d’obéissance donnés par le dauphin, l’évêque d’Arras revient aux motifs de crainte qui peuvent le retenir en Bourgogne.  Enfin, il finit par prier Dieu que le roi ait compassion de son fils et qu’il veuille bien le laisser en repos dans l’honorable réception où il se trouve, en l’hôtel de son oncle.  Le discours de l’évêque d’Arras terminé, Philippe se lève.  A son tour, il prend la parole.  Devant tous, d’une voix claire et forte, le duc de Bourgogne contre-attaque.  Il réfute les accusations de l’évêque de Coutance :
 « Il semble, de la façon dont on parle, que j’aurais séduit et attiré monsieur le dauphin dans mes états ; mais il est notoire que la chose n’est pas ainsi.  Monsieur Louis est venu chercher ici sa sûreté, à cause de la crainte qu’il a du roi son père.  C’est pour l’honneur du roi que je l’ai reçu et soutenu de mes biens ».  Le duc ajoute que le dauphin est libre de rester dans ses pays tant qu’il lui plaira et lorsque monseigneur Louis  voudra  retourner chez son père,  il le fera accompagner par son fils, le comte de Charolais ou par lui-même. 

Charles VII
                               

Loin des soucis de son bel oncle, le dauphin séjourne tantôt à Genappe, tantôt à Bruxelles où sa présence à la cour crée des dissensions.  Le 21 mai 1461, une fille lui naît au château de Genappe.  Cette enfant reçoit le nom d’Anne.  Plus tard, Anne épousera le seigneur de Beaujeu, sera régente de France et tutrice de son frère, le futur Charles VIII.  

Philippe dont les facultés commencent à s’affaiblir, loin de s’apercevoir des manoeuvres de son hôte, continue à lui montrer la plus grande déférence.  Son fils Charles en fait souvent les frais.
Ce jour-là, dans la forêt de Soignes, Louis de France et Charles de Bourgogne chassent.  La fougue qu’ils mettent à courir le gibier les sépare du groupe.  Ils s’égarent chacun de leur côté. Complètement perdu, Louis avance au hasard dans la forêt.  Quand le soir arrive, Charles retrouve le palais.  Le dauphin n’est pas encore rentré.  Dans la cour, à peine met-il pied à terre qu’il monte voir son père.  Lorsque le duc voit son fils venir à lui, seul, il lui demande des nouvelles du dauphin.  Charles n’en a aucunes,  Il s’est lui-même égaré pendant la chasse.  A ces paroles, Philippe se fâche et entre, une fois de plus, dans une colère contre son fils.  Le duc lui ordonne de retrouver au plus vite le dauphin.  Il lui défend de reparaître devant lui avant de l’avoir retrouvé.  Bousculé de la sorte, le comte remonte à cheval et retourne dans la forêt.  Son père le fait accompagner par des gens à cheval portant des torches.  Tout ce monde, sans succès, bat la forêt, crie, appelle.  Inutilement, la lumière des torches éclaire les arbres, les sentiers, les chemins.  Toute une partie de la nuit se passe, de cette manière, en vaines recherches.  Inconscient des alarmes provoquées chez les Bourguignons par sa disparition, le dauphin reparaît tout à coup.  Son errance l’avait conduit jusqu’à huit lieues de Bruxelles.  Un paysan, auquel il avait donné une pièce d’or, l’avait remis sur le bon chemin.  Soulagé, le duc donna à cet homme une belle récompense.

Louis XI
                               

La mort de Charles VII en 1461, rappela le dauphin en France.

A la tête d’une armée, Philippe le Bon conduisit Louis à Reims.  Il eut l’honneur de lui placer la couronne sur le front. 

Le bel oncle espérait que les services rendus à son neveu, avaient établi, entre les deux branches de la maison de France, des liens d’amitié durable.  Le réveil fut brutal.  Le duc de Bourgogne s’aperçut bien vite, qu’il n’avait fait que changer d’ennemi.  Louis, qu’il avait si généreusement accueilli n’avait jamais eu qu’un seul but : Sa ruine !

 
la cour brûlée

vendredi 4 novembre 2011

Un dauphin de France à Bruxelles, 2e partie

Louis XI


Malgré l’étude, la chasse, les joyeux propos, le dauphin ne peut rester étranger aux affaires de la Bourgogne, il aime trop l’intrigue pour se contenter d’un rôle passif.  Alors, il l’utilise son temps libre en se trouvant des créatures.  Pour se faire des partisans, Louis s’intéresse aussi bien aux gens de basses conditions qu’aux grands seigneurs, il préfère même à ceux-ci les premiers.  C’est parmi le populaire qu’il trouve les instruments les plus dociles.  Le peuple a toujours eu une certaine vénération pour les « Grands ».  Lorsque Louis en est dégoûté ou après s’en être servi, il peut briser ces petites gens sans danger.   A jeter après usage, en somme.

Olivier de la Marche : «  où il savoit nobles hommes de renommée, il les achetoit à poids d’or, et avoit très-bonne condition.  Mais il fut homme soupçonneux, et légèrement attroyoit gens, légèrement il les reboutoit de son service ; mais il estoit large et abandonné, et entretenoit par sa largesse ceux de ses serviteurs dont il vouloit servir, et aux autres donnoit congé légèrement, et leur donnoit le bond à la guise de France. ». 

Ainsi, lorsqu’il rencontre, un homme de quelque capacité, parmi les seigneurs ou les domestiques que le duc met à sa disposition, il s’empresse de le gagner, soit par des flatteries, soit par de l’argent.  Avare pourtant, Il dépense dans ce genre d’affaires des sommes assez considérables.  De toutes façons c’est de l’argent bourguignon, alors pourquoi se gêner.  Malgré le soutien financier de Philippe, la bourse de Louis est souvent vide.  Il contracte même des dettes pour lesquelles, naturellement le duc donne sa garantie.  Mais ces moyens pour se concilier des partisans sont infaillibles. 

Il est clair que la réussite ou la faillite d’un Etat dépend de la qualité de ses serviteurs.  Seulement, un serviteur de valeur, habile et fidèle, cela a toujours un prix.   Qu’en est-il à la cour de Bourgogne ? 

Comme on pourrait le croire, la très honorable fonction d’écuyer panetier du duc n’enrichit pas le porteur du titre.  En 1447, l’écuyer panetier Olivier de la Marche reçoit trois sous par jour, c’est-à-dire le même salaire que les valets de fruits, de torches ou d’étables.  C’est bien peu, lorsque l’on sait qu’il a des responsabilités et qu’il accompagne des ambassades.  Georges Chastellain, qui exerce la même fonction et que le duc envoie en missions, parfois secrètes, doit s’endetter pour pouvoir les mener à bien.

Chastellain au duc de Bourgogne : « …Tu as le fardeau de l’honneur du monde entre tes mains, et l’autorité de pouvoir faire ou défaire ta propre bénédiction.  Tu dois avoir grand soin comment tu tiendras en estat l’ancien édifice que tes pères ont fondé…si Dieu plaist, tu ne frustreras point leur expectation par petit entendre…Tu dois à chacun vouloir satisfaire et traiter chacun en nature de noble prince ; gagner cœurs et courages par vertu ; les sujets par bonne gouverne ; les serviteurs par recognoissance…Ne fait à ignorer que la seule et souveraine félicité des princes pend en la félicité de leurs sujets… »

Il semble que le duc ne la pas entendu, mais Louis XI, roi de France l’avait bien compris.  L’histoire lui a donné raison. 

C’est donc principalement parmi les seigneurs et les domestiques de la maison de Bourgogne que le dauphin s’applique à se faire une clientèle.  A partir de 1461, époque où Louis monte sur le trône, on voit presque tous les personnages de la cour de Bourgogne quitter leur ancien maître pour passer à son service.  Par après, Louis XI ne négligera pas non plus ceux qui étaient encore restés fidèles au duc.  En langage moderne cela s’appelle la fuite des cerveaux, car mieux payés ailleurs.

Homme du peuple, Olivier le Dain, son barbier, né à Tielt en Flandre, ne lui coûte pas cher à gagner.  Plus tard, il fera de ce Flamand, un ministre et un ambassadeur.  Une conquête beaucoup plus importante sont les Croy.  Aussi s’applique-t-il à les séduire, et il y parvient.

Pendant que Louis s’occupe à sa manière des affaires de Bourgogne, les menaces de guerre avec la France ne cessent pas. La cause ? on s’en doute : la présence du dauphin auprès de Philippe. Alors d’interminables négociations accaparent les deux souverains.  Ce ne sont qu’ambassades sur ambassades, correspondances sur correspondances.  On prétend que Charles VII  déclara, dès le début, que le duc nourrissait en son sein, le renard qui mangera ses poules.  Les événements firent bien voir la justesse du mot. 

Mais, flatté d’avoir chez lui l’héritier de la monarchie française, se sentant encore plus incontournable dans le jeu politique, Philippe vieillissant, il a, à cette époque soixante-et-un ans, ne se rend pas du tout compte des intentions réels de Louis.  « L’affaire de Croy » ne lui ouvrira pas plus les yeux.


Madame de Charolais


En 1457, deux naissances à la cour de Bruxelles : madame de Ravenstein accouche d’une fille que le dauphin tient sur les fonts.  Au mois de février, madame de Charolais accouche d’un enfant du sexe féminin.  Celle-ci reçoit le nom de Marie, en l’honneur de Marie d’Anjou, mère du dauphin.

Jacques du Clerc : « en cest an mil quatre cents cinquante six (ancien calendrier), par un mardy, dix septième jour de febvrier, madame Catherine, femme du comte de Charollois, et fille du duc de Bourbon, en la ville de Bruxelles accoucha d’une fille….  Et luy donna icelluy daulphin à nom de Marie, pour l’amour de la reine de France sa mère, la quelle s’appeloit Marie.. »


Château de Genappe

Au moment de cette naissance, le dauphin chasse à Genappe.  Tout en joie de l’heureux événement, le comte de Charolais, accompagné d’une suite imposante, va à sa rencontre.  Il le prie d’être le parrain de la petite Marie.  Louis accorde cette demande avec bienveillance.  La chasse finie, côte à côte, tous deux reviennent à Bruxelles.  Le baptême de la petite mademoiselle de Bourgogne est célébré dans l’église du Coudenberg.  A cette occasion, la magnificence est portée à son comble et l’étiquette observée avec rigueur.  Philippe se trouve absent, et peut-être n’en est-il pas fâché.  A la cour, on regarde comme un très grand honneur que le dauphin se tienne à la droite de l’enfant porté par sa grand-mère.  Les marraines sont la duchesse Isabelle et madame de Ravenstein.

Ancienne église Saint-Jacques sur Coudenberg
                                                  

« … Et la tint sur les fonts monseigneur le daulphin de Vienne, la duchesse de Bourgoingne et la dame de Ravestain, niepce d’icelle duchesse et femme de Adolf de Clefves.  A la nativité de la quelle fille on féit solemnelle feste. 
 …Et à porter icelluy à fons, alloit devant, le fils du duc de Gueldres, nepveu du duc de Bourgoingne, lequel portoit ung bacin ; après luy alloit Adolf de Clefves, nepveu aussi du duc, lequel portoit ung cierge bénit.  Après lesquels trois, la duchesse de Bourgoingne portoit l’enfant, et à sa dextre estoit le dessus dict daulphin, qui tenoit sa main sur le chief de l’enfant, en le soutenant ; et y avoit 500 torches ou plus.  Et fust au bapteme l’evesque de Cambray, frère bastard du duc, et l’evesque de Toul abbé de Sainct Bertin… »

Nouvelle église Saint-Jacques sur Coudenberg
                                           

Si à la cour on considère la présence de Louis comme un privilège, les Bruxellois et les autres sujets du duc ne voient pas d’un très bon œil sa présence au cœur des provinces.  Quelques-uns soupçonnent même sa conduite de n’être que dissimulation.  Selon ces mauvais esprits, Louis, de concert avec son père veut pénétrer les desseins de Philippe pour abattre la Bourgogne.  Il désire connaître mieux l’esprit des grands et du peuple, pour semer la discorde.

Et cette discorde éclate en effet, et de manière à justifier tous les soupçons.

Les seigneurs de Croy étaient alors parmi les plus puissants de toutes les provinces que le duc de Bourgogne réunissait sous sa domination.  Originaire d’Amiens, cette famille devait son élévation à Jean de Croy, favori de Jean-Sans-Peur, impliqué dans le meurtre du duc d’Orléans.  Les Croy jouissaient auprès de Philippe du même crédit qu’ils avaient eu auprès de son père.  On disait même que le duc se proposait de morceler ses domaines en leur faveur.  Avides, ils avaient osé disputer au comte de Charolais les meubles de la succession de madame de Béthune.  Orgueilleux, ils traitaient le fils de leur maître avec hauteur.  Charles frémissait d’indignation, en se voyant ainsi négligé.  Il les suspectait d’être vendu à louis et d’un autre côté, de rechercher continuellement à obtenir de son père des faveurs qui affaiblissaient la puissance du duché.  En politique, Charles leur reprochait d’avoir, sous une certaine influence, conseillé la rétrocession à la France des villes de la Somme.  
Excédé, le duc de Charolais décide d’avertir son père du double jeu des Croy.  Malheureusement, Philippe ne prend pas au sérieux les griefs de son fils.  Déçu par cette attitude, Charles, dès ce moment, regarde de travers cette famille et deux clans se forment à la cour.  Cependant, Il ne se trompe pas.  Les Croy recherchent de plus en plus les faveurs du dauphin.  Sentant le vent tourner, ils ont besoin d’un appui plus grand contre le comte de Charolais.  La rupture ouverte, entre eux, a lieu en 1457.  Il s’agit de remplacer en leur absence les chambellans du comte.  Charles veut donner la troisième place de sa chambre au fils du chancelier Rolin, son père, au fils de Jean de Croy, sire de Chimay.   
Malgré son père, le comte de Charolais s’obstine à ne pas changer l’ordonnance qu’il a rendue.  Le duc l’appelle et lui demande d’apporter cette ordonnance.  Le document à la main, Charles retrouve son père dans son oratoire, madame de Bourgogne est présente.
Sans attendre, Philippe tend la main vers Charles :
- Donnez-moi votre ordonnance !
 Charles la lui remet.  Le duc l’arrache des mains de son fils et la jette immédiatement au feu. 
- Maintenant, allez en faire une nouvelle !
Charles s’emporte et jure qu’il n’en fera pas d’autre.
- Je ne me laisserais pas gouverner par les Croy comme vous !
Les mots terribles sont dits.  Plus qu’une offense, c’est un crime !  Le duc entre alors, dans une telle colère qu’il chasse son fils et lui ordonne de quitter ses états.  Intervient à ce moment, dans la tempête, la duchesse. L’épouse devient mère et la mère sort ses griffes.  Violemment, Isabelle s’oppose à son mari et prend la défense de son fils : - Si vous chassez mon fils, je pars avec lui !
Et l’orage continue.  Tous trois ont de si rudes paroles, de si effrayantes rages que tout espoir de conciliation semble impossible.  Certains racontent que Philippe aurait sorti son épée et en aurait menacé son fils.    

Resté à Bruxelles pour les fêtes du baptême, le dauphin de France se trouve encore au palais.  Sortant de l’oratoire, la duchesse Isabelle, éperdue, court chez Louis, lui raconte le déchaînement de colères qu’elle vient de vivre et implore son intervention.  Secrètement, le dauphin doit applaudir ce nouveau désordre chez ses ennemis, dont indirectement il en est la cause.  Venir lui demander de l’aide, c’est encore l’occasion pour lui, d’ajouter un peu d’huile sur le feu - Décidément ces Bourguignons, des incorrigibles ! -  Naturellement, lorsque Philippe voit l’héritier de France venir lui demander le pardon de son fils.  Lorsqu’il voit sa plaie mise à nu devant celui qui le dernier aurait dû le savoir.  Il en éprouve une émotion telle qu’il quitte, sur le champs, le palais.  Dans la cour, il enfourche un cheval et s’éloigne seul comme un furieux dans la forêt de Soignes où il s’égare.  De son côté, le comte de Charolais, non moins emporté, en avait fait autant.  Quand la nuit arrive, ni l’un ni l’autre ne paraissent.  La duchesse, au désespoir, redemande à grand cris son mari et son fils.  A la nuit tombante, le duc aperçoit de loin le feu d’un charbonnier.  Philippe donne des éperons. Arrivé à sa hauteur, le duc se fait reconnaître.  Il lui donne quelques pièces et l’homme le conduit jusqu’à l’habitation de l’un de ses veneurs.  Ce fut là qu’il coucha et que l’on le retrouva le lendemain.  Quant au comte de Charolais, il avait trouvé asile à Dendermonde auprès de sa femme. 
Cette affaire fait grand bruit dans la ville.  Craignant que l’opinion publique ne le dépeigne comme un ennemi portant partout le désordre, le dauphin se voit forcé d’intervenir.  Il joue le médiateur, l’homme de paix.  Pour la galerie, il devient Louis le réconciliateur.  Le dauphin envoie plusieurs fois à Dendermonde le sire de Ravenstein et le héraut Toison d’or Jean Lefèvre de Saint-Rémy.  Ils doivent engager Charles à témoigner à son père une déférence que Louis n’a pas pour le sien.  Moins obstiné que le dauphin, Charles, toujours ulcéré, va céder, par respect filial et aux conseils du chancelier Rolin.

Chancelier Rolin

L’héritier de Bourgogne rentre vite en grâce auprès de son père.  Le duc se contente d’exiger le renvoi de deux écuyers de sa maison, tous deux trop habiles conseillers.  Ils passèrent en France, l’un entra  au service du roi et l’autre demeura à Paris.  Par eux, le dauphin apprit ensuite ce qui se passait dans les conseils privés de son père. Mais le duc ne pardonnera pas à la duchesse sa démarche inconsidérée auprès du dauphin.  Désormais, il l’exile de sa présence.  Le maréchal de Bourgogne lui apporta les reproches et la décision de son mari.  Elle s’en montra fort affligée,
- Comment devais-je faire ?...Il faut bien que monsieur me pardonne ; je ne suis qu’une étrangère ici ; je n’ai que mon fils qui me console et me soutienne.
Bannie par Philippe, Isabelle se consacra, dès lors, à la religion.

Pendant tout le temps de son séjour dans les Pays-bas, Louis sera l’objet des plus délicates attentions et plus grandes prévenances.  En 1457, entre autres, le duc fera différer jusqu’au samedi la sortie de l’ommegang afin qu’il puisse le voir.  Mais la présence de ce prince à Bruxelles aura bientôt des suites funestes pour la maison de Bourgogne.

A suivre…

Place royale, emplacement du palais disparu