Ami lecteur, amie lectrice, qui que tu sois, sois le/la bienvenu(e).


Bruxelles, cité européenne, véritable pot-pourri de civilisations a bien des histoires, petites ou grandes, à raconter au curieux.

Jacques De Cerisy plonge dans le passé chaotique de cette ville, retrouve les visages disparus de ceux qui ont fait son Histoire et rapporte leurs gestes effacés par le temps.

Sous des dehors parfois tristes, la cité cache de l’exotisme et de l’extraordinaire. Presque partout surgissent les souvenirs, souvent indirects, la ville a tellement changé. Mais qu’à cela ne tienne, la mémoire est là. Les lieux ont disparu mais les endroits demeurent, cela suffit pour raconter cet autrefois…

« …c’était au temps où Bruxelles… »



dimanche 10 juin 2012

Un duc de Brabant poète


Fils d’Henri III et d’Aleyde de Bourgogne, Jean Ier va régner sur le Brabant de 1261 à 1294.  Alliances obligent, il épousera en première noce Marguerite de France, fille de Saint Louis.  Marguerite mourut trop tôt.  Il épousera alors la fille de Louis de Dampierre, comte de Flandre.

Toujours soucieux des intérêts de ses sujets, Jean Ier avait décidé de régler à l’avantage des Brabançons la question de la possession de la route commerciale du Rhin vers l’Angleterre.  Cela ne plut pas et conduisit à la guerre.  Le succès des armes brabançonnes le 5 juin 1288 à Woeringen mit fin à la querelle.



Après cette terrible bataille, Jean fut surnommé « Le Victorieux ».  Dans cette sanglante journée, les Bruxellois firent honneur à leur bannière.  Ils se jetèrent parmi les premiers sur l’ennemi et déployèrent à cette occasion un rare courage.  Ce triomphe fut célébré à Bruxelles avec enthousiasme.  Certains  racontent qu’en souvenir de cette victoire, l’église Notre Dame des Victoires du Sablon aurait vu le jour.  Ce n’est qu’une légende.
Jean Ier récompensa largement ses sujets de leurs efforts.  Ils avaient donné leur sang et un vingtième de leurs biens pour seconder leur duc dans cette entreprise.    

Le vainqueur de Woeringen ne survécut pas longtemps à sa victoire ; Il mourut victime de son amour effréné des tournois, âgé seulement d’une quarantaine d’années. 


Son règne marqua l’apogée de la puissance brabançonne.

Il fut inhumé dans l’église des Récollets de Bruxelles.  Au XVIe siècle, son monument fut renversé pendant les troubles ; rétabli plus tard, il fut détruit une seconde fois lors du bombardement de 1695.   

Aucun souvenir ne rappelle plus à Bruxelles la mémoire de ce prince hardi, généreux, ami des dames, des lettres et des tournois.
S’il ne reste plus rien de lui, il nous reste cependant ses poèmes.  Car ce grand prince pratiquait la muse avec un certain talent. 


Un jour de mai

Je m’étais levé grand matin

Et, dans un verger pour me divertir allai

Là, trois jeunes demoiselles trouvai

Ah ! Quelles étaient Belles !

Elles chantaient, tour à tour :

harba, lorifa, harba lorifa

A l’aspect de la belle verdure que m’offrait le verger,

Et de la douce voix de ces aimables fillettes charmé,

Mon cœur bondit de joie, j’étais forcé de répéter

En chantant : harba, lorifa, harba lorifa

J’accostai la plus belle ; puis,

passant mes bras autour de sa taille,

Je voulus lui donner sur la bouche un baiser

Elle dit : cessez ! Cessez ! Cessez !

Harba, lorifa, harba lorifa

Un jour de mai

Je m’étais levé grand matin

Et, dans un verger pour me divertir allai

Là, trois jeunes demoiselles trouvai

Ah ! quelles étaient Belles !

Elles chantaient, tour à tour :

harba, lorifa, harba lorifa

A l’aspect de la belle verdure que m’offrait le verger,

Et de la douce voix de ces aimables fillettes charmé,

Mon cœur bondit de joie, j’étais forcé de répéter

En chantant : harba, lorifa, harba lorifa

J’accostai la plus belle ; puis,

passant mes bras autour de sa taille,

Je voulus lui donner sur la bouche un baiser

Elle dit : cessez ! Cessez ! Cessez !

Harba, lorifa, harba lorifa



Un jour de mai, Jean Ier, duc de Brabant.   




lundi 14 mai 2012

1229 : un code judiciaire pour Bruxelles


Bruxelles
C’est en 1229 que l’on trouve l’une des plus anciennes lois judiciaires écrites de Bruxelles. Cette loi que l’on appelle Keure, Ceure ou Core fut donné aux bourgeois par le duc de Brabant, Henri Ier.

Né vers 1165, Henri 1er, fils de Godefroid III, va régner près de soixante ans. Duc de Basse-Lotharingie, il ajoutera à ce titre celui de duc de Brabant. Ses successeurs conserveront cette désignation.

En 1179, Godefroid III et le comte de Flandre, Philippe d’Alsace négocient le mariage d’Henri. Il épousera la nièce de Philippe, Mathilde, fille du comte de Boulogne.

Les jeunes mariés recevront en cadeau de mariage, Bruxelles, Vilvoorde, Uccle, Ruysbroeck, et tout ce qui se trouve entre la Senne et la Flandre.

Bruxelles sera leur résidence, ils s’installeront dans le nouveau château construit sur le Coudenberg, l’ancien château de l’île Saint-Géry ayant été abandonné.

Désormais, avec eux, le Brabant va acquérir une importance nouvelle.

Aimé par le peuple, soutenu par les bourgeois, protecteur des lettres, Henri possède un esprit ouvert aux grandes idées. Durant son règne, il concédera de nombreux privilèges et veillera toujours aux intérêts commerciaux de ses sujets. Louvain et Bruxelles lui devront leur prospérité. C’est à lui encore que vers 1200, l’hôpital Saint-Jean paraît devoir son existence.

Revêtu de la croix, Henri 1er s’était déjà rendu en Palestine en 1189, il y repartit en 1197. En Terre Sainte, il allait combattre, selon son expression, les Sarrasins visibles et invisibles. Placé à la tête des Croisés, il remporta, le 23 octobre de cette année-là, une brillante victoire sur le frère du fameux Saladin, l’émir Saphadin. Cependant, au même moment, arrivèrent de ses états, des nouvelles inquiétantes. Elles l’empêchèrent de continuer cette croisade.

Revenu au pays, il mena une politique d’agrandissement et d’enrichissement de ses terres. Pendant toutes les années de son gouvernement, il signera de nombreuses chartes. Celles-ci le placeront au premier rang des fondateurs des libertés. Parmi elles, il en est une, datée de 1229, qui est la première loi judiciaire écrite du pays.
Avant ce nouveau code pénal, la loi des Francs Saliens s’appliquait aux habitants. Ce souvenir de l’ancienne législation germanique, permettait aux coupables de se racheter des plus grands crimes par des indemnisations financières estimées selon l’importance de la victime et la nature du délit. Malheur aux « sans-le-sou ». Les coutumes adoptées un peu plus tard par la bourgeoisie voulaient au contraire que les individus convaincus de meurtre, de viol, d’incendie, de rapt, d’infraction à la paix, fussent punis de mort et de confiscation, à moins qu’ils n’eussent femme ou enfant.


Le tout nouveau recueil judiciaire, désiré par le duc, changeait tout cela. Enfin, un code écrit d’après lequel les juges décidaient de la condamnation. Pour le justiciable de l’époque, cela représentait une véritable révolution. Les peines se trouvaient adaptées suivant le délit et non plus suivant le coupable. Une justice plus égalitaire, en somme.

Quelques peines tirées de cette Keure, par leurs côtés inaccoutumées, m’ont semblé intéressantes à signaler au lecteur.

Art 6 : une femme qui frappait un homme était condamnée à une amende de 2 schillings, ou portait certaines pierres marquées d’une paroisse dans une autre.

Ces pierres de justice ou pénales, Damme en a conservé deux que l’on peut voir à côté de son hôtel de ville. Ces pierres-là pèsent 8 kilos mais certaines pouvaient voir ce poids tripler.

L’article 7 de cette Keure donne de nombreuses garanties aux bourgeois pour la sûreté de leur personne et de leurs biens.

Ainsi, tout habitant qui était attaqué dans sa propre maison pouvait impunément tuer l’agresseur.

Mais l’article 14 dit :

Tout recours à la force brutale pour obtenir justice était punissable ; le Blessé (entendez la victime) devait se plaindre au juge (amman ou autre) ; l’accusé avait 3 jours pour se justifier et le même délai était donné au juge pour instruire la cause.

Le viol et l’infraction de trêve étaient punis de supplices affreux, dans le premier cas, la tête du coupable était séparée du tronc par une scie de bois (art 15), dans le second cas : il était écartelé (vierendeels) (art 16)

Est-ce l’origine du nom de famille : Vierendeels ?

Cette loi inédite et progressiste – pour l’époque - sera toujours considérée comme la base de la législation bruxelloise.

Bien après, dans son testament politique, en 1261, un successeur, le duc de Brabant, Henri III, déclara que dorénavant tous les hommes de la terre de Brabant seraient traités par loi et par sentence. Ceci complétait l’œuvre commencée par son aïeul, Henri 1er.


Sceau d'Henri 1er

mercredi 2 mai 2012

L'incendie du palais des ducs de Brabant


Dans les caves du palais, pendant la nuit du 3 au 4 février 1731, éclata un terrible  incendie qui se propagea avec tant de rapidité, qu’en peu d’heures il ne resta de cette vaste et célèbre résidence des ducs de Brabant qu’un amas de décombres.  Des immenses richesses de toute nature qui y avaient été accumulées depuis des siècles, il ne restait plus rien.  La perte la plus regrettable fut celle des nombreux tableaux de Rubens que contenaient la galerie.  A la destruction du palais, échappa, par miracle, la magnifique chapelle, chef-d’œuvre d’architecture, construite sous le règne de Charles-Quint.  Elle continua à subsister jusqu’en 1775. Elle fut démolie, lorsqu’on construisit sur son emplacement et sur celui de la cour des Bailles qui annonçait le palais, l’actuelle place royale et le parc.  La lettre suivante adressée au prince Eugène par le général de Bauffe, ingénieur en chef de la cour est un rapport exact et détaillé sur ce désastre.

Le palais accompli

L’orthographe du général, ne parlons pas de son style, est quelque peu excentrique ;  il n’est pas conseillé du tout de la suivre.  - C’est d’époque - J’espère l’avoir cependant respectée - sans faute ou presque - demandant par avance au lecteur et au général, de bien vouloir me pardonner, si par hasard, manie, distraction, ou encore par habitude seulement, j’ai rectifié certains mots.  Mais tout cela n’est qu’affaire fort secondaire – besogne de spécialistes -  anecdotique tout au plus, oublions vite cela.  Le plus important ici, est le contenu, un témoignage plus que vivant sur la disparition de ce palais extraordinaire qui fut la fierté de ses occupants et le témoin de l’histoire de l’Europe pendant plusieurs siècles.

Au temps de Maximilien

«   Monseigneur,
Je ne doutte pas ou Votre Altesse aurat appris la facheuse nouvelle de l’incendie arrivée  a la cour de Bruxelles, la nuict d’entre le 3 et le 4 courant, ou le feu consomma par ses flammes en six heures de tems tout le palais entier, sans rien avoir laissé autre que les murailles de la cour d’entrée, ou etoit l’horloge, les murailles du salon et ceux de la chapelle avec sa voutte ; et j’ai fait massonner dans la cave des murailles sous les pilliers qui soustiennent ceux de la chapelle, qui etoient calcinnez par le feu du magasin a charbons, que s’ils auroient croullé, la belle chapelle auroit sans doutte croulé de meme, ce qui est présentement rasseuré.  Il ne reste aucunne muraille en son entier, tout est brulé, calcinné et croulé jusqu'à raze des fondements ; pour les batir on doit commencer du bas, et le peu de murailles qui restent, doivent etre jettées  embas ou elles tomberont avec le dégel.  L’on croit cet accident arrivé par les domestiques du cotez de la cuisinne ou confiturerie, ce qui d’ordinaire arrive que de cent incendies nonante neuf proviennent de la negligence des domestiques.  Les sentinelles de douze a deux heures n’ont rien vus ny entendue, ceux qui ont relevé a deux heures, ont entendue le quart apres sonner une cloche d’argent au quartier de S. A., qu’on suppose d’elle ; un moment apres on entendit du bruit du cotez des archers, qui s’etoient appercus de la fumée, la sentinelle criat alerte, et tira deux coups de fusil, l’officier de garde envoia reconnoitre, dabord on s’appercut du feu, il fit toucher l’alarme autour des bailles de la cour, envoiat avertir le gouverneur, major de la place, et fit hurter à l’abbaye de Caudenberg pour qu’on auroit donné le toxin avec les cloches, mais comme l’abbaye est dans un bas, il fut pres de trois heures avant qu’ils ne l’aient touché.  Pendant ce tems, etant lors environ deux heures et demy, l’officier envoya des grenadiers dans le quartier de S. A. ou ils trouverent les portes fermées et avoient avec eux des archers, un valet de garde de S. A. qui etoit en dedans, accourut ouvrir la porte, et un grenadier se tenant prêt a entrer dabord la porte ouverte, une fumée mellangée de flames lui brula le poil de son bonnet et de sa moustache.  La serenissime archiduchesse etant deja en allarme, n’eut que le tems de chausser un bas, mettre une juppe, et une robe de chambre fort legere, et se retira du cotez de la chapelle, ou elle resta tres peu, et fut ensuite chez le prince de Rubamprés, et comme le feu pour lors commencat a paroitre par plusieurs fenêtres, se communiquant de l’une des chambres à l’autre, par les plancher et boiseries, qui etoient tous d’un vernis qui prend feu comme la poudre, tout etoit en flammes, vers les trois heures le vent assez fort qui emporta des charbons jusqu’à sur le toict de la maison ou etoit Son Altesse l’obligea de se retirer à l’hotel d’Orange, ou elle est encor presentement.  Depuis les deux heures un quart jusqu’à vers les trois heures l’on sauva des papiers, quelques meubles, et deux coffres en lequel on jugea qu’il y avoit de l’argent par rapport à leur pesanteur, qui furent portez à la garde et ensuitte transportez au palais d’Orange avec d’autres meubles, mais les principaux sont restez et consommes dans les flammes.  S. A. at aussi eu une cassette ou il y avait une partie de diamants, mais comme le lendemain on devoit donner bal a la Cour, on avoit garnis un habit de diamants pour S. A., lequel at été consommez dans les flames, et l’on a decouvert hier les cendres des gallons et franges dont led habit etoit garnis, et trouvez dans la poussiere qu’on fait tamiser 20 diamants et aujourdhuy neuf, partie obscurcis par le feu, et d’autres pas, mais ceux qui sont attaquez du feu, ne coutront que la peine de les faire passer sur le moulin et r’auront leur lustre comme devant, et n’y aura de perte qu’environ huit grains par cent.  Lade Altesse avoit eu un present de la Reine de Portugal de pierres precieuses de differentes couleurs qu’on croit n’avoir pus resister aux flames.  L’on vient de trouver 10 goblets d’argent vermeil, hors desquels boit S. A. La dorure est gatée, mais rien d’offensez aux goblets.  Les diamants restez dans les flames ont etez en trois differents endroits, ce qui causerat un travail de long haleine parcequon doit allez a petit pas et tamiser le tout.  l’on a mis des sentinelles a l’entour du palais, affin que personne n’en approche, et la ou sont les diamants l’on a 2 adjudant de la cour avec des domestiquez affidez qui restent jour et nuict sur le lieu, on leur a fait une loge de planche, et observent les cinque ouvrierz qui ostent et transportent les débris, n’en pouvant pas mettre davantage, pour pouvoir bien observez.  Dans l’intervalle du feu un chacun y est venus, mais il etoit un peu tard par rapport qu’il etoit les deux heures et trois quarts avant que les cloches de la ville n’aient sonnez le toxin.  Le gouverneur y fut des premiers, et n’avoit guerre de monde pour l’assister du commencement, et comme le feu etoit si violent par les boiseries vernies, comme j’ai dit cy devant, et que le vent contribuait, de meme que la seiche gellée, qu’un chacun avoit ses appartements separez par des planches de sapin, de meme que le grenier, remplis du bois d’un theatre, fait pour l’inauguration de S. M. , enfin tout contribuoit pour la devoration de ce palais.  L’on eut 2 pompes ou seringues, qui etant remplies d’eau n’etoient pas en etat, et celles de la ville et couvents arrivant seulement vers les trois heures, le feu etoit deja pour lors pres du corp ,de garde, ou on les fiit jouer sans effect a cause que le feu etoit trop violent, et tout ce qu’on put faire fut d’empescher que le feu ne prenne aux maisons de Borgendall et a l’eglise de Caudenberg, pour lesquels le comte de Wrangel, accompagnez du duc d’Aremberg, fit abattre une maison, comme aussi la gallerie de communication de la cour a l’eglise de Caudenberg, et celle du cotez du grand salon allant chez l’audiencier Cuvelier, et l’on fit venir des canons et poudre pour s’en servir au besoin.  Il y eut quelque petitte mesentende entre les bourgeois et les militairs, qui fut dabord finie, c’est que beaucoup de petittes gens, femmes et enfants, qui dordinaire ne viennet que pour voire ou pour voller, les soldatz qui devoient garder les meubles et paiers qu’on apportoit, etoient obligez deloigner ce peuple inutile, et laisser approcher les ordres mandiants et gens de metiers ; telles affaires ne peuvent jamais etre conduittes sans confusio.  Le comte de Wrangel avoit commencez de tenir les informations, mais la cour lui at ordonnez d’en desister, se contentant d’un malheur sans vouloir enn attirer dautres.  Ainsi qu’on fut temoin dun si grand desastre qui ne finit qu’après que tout fut brulé, reservz le magasin aux charbons dans la cave sous la chapelle, qui a brulez jusqua Samedy passez, ou depuis Lundy j’ai fait massonner pour asseurer la chapelle d’un croullement.   La jeune comtesse d’Ullefeldt y a perdue la vie avec ses 2 filles de chambre ; elle est enterrée aux Pères Jesuites, regrettée dun chacun par rapport aux belles qualitees dont elle etoit douée.  4 couvreurs d’ardoise voullant faire oster les fenetres audessus du grand salon, quelques pierres tomberent et les blesserent tous quatre,mais les blessures ne sont pas mortelles.  Je vins icy samedy par ordre de S. A., qui m’ordonna dabord de voir la chapelle de la cour, pour la rasseurer et me chargeat ensuitte de prendre le plan de l’hotel d’Orange, celuy d’Egmont et la maison du prince Latour avec celle du marquis de Westerloo, ce que j’ai achevé hier.  Après avoir vus et examiné tous les endroits, S. E. le Grand Maitre vient de me dire qu’Elle a resolu de rester a l’hotel d’Orange et lui a la maison du marquis  de Westerloo.  Il me paroit que le choix est bon et qu’on ne pouvoit pas en faire de meilleur.  La princesse Latour est venue expres a Bruxelles pour offrir sa maison, ce qui at ete fort agreablement recus de S. A. comme aussi les etats de Brabant, qui ont plaint le malheur arrivez, avec offre de faire tout ce qui pourra dependre d’eux, affin que la cour puisse se rebastir, pour lequel il faudrat au moins quatre a cinque annees, lorsqu’il y aura de l’argent et des personnes pour le conduire avec vigueur. »   


Place royale

mercredi 25 avril 2012

André Vésale 3



Vésale a disparu du théâtre de la science.  Par dépit, il a, dit-on, brûlé des œuvres encore inédites.  Il est maintenant attaché en tant que médecin à la cour d’Espagne.  Revenu à Bruxelles, il ne laisse malheureusement aucune trace de ce séjour.  Après l’abdication de Charles-Quint, il suit son successeur Philippe II à Madrid.
Jeté au milieu d’une cour triste et remplie de préjugés, il sera loin d’y vivre heureux malgré toute la considération dont il sera entouré.

Tout un tas de légendes ont été débitées sur les années espagnoles de Vésale. On a écrit que Vésale vint dans ce pays en qualité de premier médecin de l’empereur Charles-Quint et que Philippe II le conserva dans cet emploi.  Cela ne paraît pas certain.  Dans aucuns de ses écrits, Vésale ne se qualifie de ce titre.  Si cela était, il aurait suivi Charles-Quint au monastère de Yuste, à la place du docteur Matisio, qui resta pendant deux années auprès de l’empereur et l’assista au moment de sa mort.

On raconte encore que Vésale aurait guéri le fils de Philippe II, Don Carlos, d’une blessure désespérée.  Or voici la véritable histoire, écrite par le médecin Dionisio Daza, ami de Vésale : En descendant un escalier obscur et délabré, l’infant fit une chute.  Au cours de celle-ci, ce prince heurta violemment de la tête une porte fermée.  Le premier pansement fut fait par Daza lui-même, par la suite le docteur Portuguez le traita.  Peu de temps après, on réunit pour les consulter neuf professeurs, tant médecins que chirurgiens.  Quant à Vésale, pour des raisons inconnues, il n’intervint qu’après la levée des pansements, soit onze jour après l’accident.  Il émit alors l’opinion qu’on devait ouvrir le crâne de Don Carlos, le mal étant d’après lui à l’intérieur.  L’avis ne fut pas suivi. Dans les opérations qui eurent lieu pendant les trois mois de la maladie du prince (ventouses, saignées, pansements), rien ne fut fait par Vésale.  Quelques-uns firent même appel à une sorte de charlatan à la mode du moment, ce qui ne donna naturellement aucuns résultats.  Contrairement à la légende, Vésale n’a donc jamais trépané Don Carlos.

Madrid
 
Une autre histoire que l’on colporte encore à propos de Vésale est que l’inquisition le condamna à mort pour avoir ouvert un gentilhomme qu’il avait traité pendant sa maladie.  Dans cette opération, les assistants auraient remarqué que le cœur du gentilhomme battait encore.  Mais sous la protection de Philippe II la peine fut commuée en un voyage expiatoire à Jérusalem.  Aucunes pièces officielles, aucuns témoignages, n’attestent l’authenticité de cette histoire.  Le premier qui répandit ce récit en Europe du nord, fut le publiciste Hubert Languet, suivit par Boerhaave et Albinus, tous protestants convaincus – on peut comprendre leur motivation - qui placèrent cette fable dans la préface de la réédition des œuvres de l’anatomiste.


Le dernier voyage

Swertius écrit que par ce voyage, Vésale voulait se soustraire à l’humeur tracassière de son épouse.  Jean Mentel, dit qu’il fut poussé par l’espoir de s’enrichir.  Ces deux-là ne nous paraissent pas sérieux.  Le plus grand nombre se limitent à déclarer qu’il quitta l’Espagne pour accomplir un voeu religieux.  Il est fort possible que ce voyage ne fut qu’un prétexte pour s’éloigner de la cour de Madrid.  Charles Delécluse parle d’une espèce de maladie de langueur dans laquelle Vésale était tombé. 
En lisant attentivement les derniers écrits de l’anatomiste, on remarque que cette maladie n’était autre chose que le découragement et la tristesse qui l’avaient saisi au milieu de la cour de Philippe II.  Il jouissait pourtant de la considération du roi d’Espagne, était comblé d’éloges par les médecins espagnols, Vésale se rendait bien compte qu’il n’était qu’un faire valoir, un simple ornement de la couronne ; il ne servait pratiquement à rien.  Le savant anatomiste, si précis dans ses dissections était, il faut l’avouer un piètre praticien, lent et irrésolu quand il s’agissait d’opérer lui-même sur le vivant.  Par ailleurs, il se racontait, parmi les médecins espagnols, que pendant qu’il servait dans les armées de Charles-Quint, il s’en remettait presque constamment au chirurgien Castillan qui servait avec lui. 

Depuis son arrivée en Espagne, l’impulsion qu’il avait donnée à l’anatomie s’était considérablement accrue en Italie.  La science avançait sans lui.  Fallopia, son ancien élève, venait de publier ses Observations anatomiques.  Tout en exposant ses propres découvertes, Fallopia y signalait avec le plus grand respect les erreurs et les omissions de son célèbre maître.  Cet ouvrage rappela à Vésale des souvenirs à la fois agréables et pénibles.  Il le reporta à cette époque pleine de gloire où l’Italie entière venait applaudir à ses succès.  Quelle différence maintenant ! Une cour triste et sombre, des tracasseries, aucun moyen de se tenir au courant d’une science qui sans cesse progressait, à cela s’ajoutait le chagrin de se voir dépasser et remis en question par ses élèves.  Combien il eût désiré pouvoir reprendre ses études.  « J’espère, dit-il en terminant son examen des observations critiques de son élève, si quelque jour je trouve l’occasion qui me manque entièrement ici où je n’ai même pas pu me procurer un crâne, j’espère repasser la structure d’un homme en entier, et revoir tout mon livre. ».  La mort de Fallopia, jeta définitivement l’amertume dans l’esprit de Vésale.  Dès ce moment-là, son désir de retourner en Italie, ce foyer actif du génie, se réveilla plus que jamais en lui.    

Zante

Sous un prétexte quelconque, Vésale quitta Madrid et se rendit à Venise.  Profitant d’une occasion que lui offrit Malatesta de Rimini, il s’embarqua pour l’île de Chypre, dernière étape avant la Terre Sainte.  Arrivé à Jérusalem, il reçut du sénat vénitien l’offre de la chaire d’anatomie devenue vacante depuis la mort de Fallopia.  On se doute avec quel empressement il accepta l’offre.  Il devait immédiatement retourner en Italie. Dans ce pays, plus favorablement placé qu’en Espagne, et âgé de cinquante ans seulement, il pourrait de nouveau se livrer à la science, à sa science, l’anatomie !  Il quitta Jérusalem et s’embarqua pour Venise.  Malheureusement poussé par des vents contraires, le vaisseau qui le portait fit naufrage au milieu d’une horrible tempête, sur les côtes de l’île grecque de Zakinthos ( Zante).  Ce drame arriva le 2 octobre 1564.  Dénué de tous secours, en proie à la maladie, Vésale y mourut misérablement.  Un orfèvre, qui le reconnut, lui fit donner la sépulture dans une chapelle dédiée à la Vierge, et y plaça cette inscription :

ANDREAE VESALII BRUXELLENSIS TUMULUS
QUI OBIIT IDIBUS OCTOBRIS
ANNO 1564
AETATIS VERO SUAE QUINQUAGESIMO
QUUM HIEROSOLIMIS REDIISSET


La sépulture du père de l’anatomie moderne disparut au cours d’un tremblement de terre.

Emplacement de la demeure de Vésale

Vésale avait épousé au retour de son premier voyage en Italie, Anne Van Hamme, fille d’un conseiller de la chambre des comptes à Bruxelles.  De ce mariage, naquit une fille, prénommée également Anne qui épousa plus tard un certain Jean Mol, grand fauconnier du roi d’Espagne.  Sa veuve se remaria rapidement.  La dote était belle.  Jean Mol resté veuf vendit la maison de l’anatomiste et ses dépendances à la ville de Bruxelles qui l’offrit au comte de Mansfeld en guise de dédommagement.  Au XVIIIe siècle, des religieux capucins occupèrent la demeure aujourd’hui disparue.    

«  Un grand et bel héritage, maisons, galeries, écuries et autres édifices, jardins entourés de murs et autres dépendances, communément appelé la maison de Vésale « t’huys van Vesalius » situé au-dessus du Banendal, dans la rue dite Hellestraete (rue d’enfer) » 

 
Détail

jeudi 19 avril 2012

André Vésale 2


1537, Vésale se retrouve lecteur en chirurgie à l’université de Padoue.  Etonnés par ses connaissances approfondies en anatomie, les autorités lui octroient la même année le diplôme de docteur en médecine et la chaire d’anatomie.  Désormais, il peut enseigner son savoir.  Avec ses étudiants, le jeune homme - il a vingt-deux ans - étudie la structure des veines, démontre, entre autre, que le point de côté se guérit en saignant la veine cubitale droite.  Aussi, pour aider ses étudiants, il reproduit sur papier, des schémas anatomiques.  En 1538, ses dessins sont publiés en six grands tableaux anatomiques (Tabulae anatomicae sex). 


Cette première publication excita, dans toute l’Europe, l’admiration comme s’il eût révélé un nouveau monde.  Ce succès, cependant, occasionna à Vésale quelques désagréments, ses belles planches furent largement copiées et plagiées sans qu’il puisse s’y opposer. 

Vésale, toujours attaché au dogme, commençait toutefois à douter.  Ses études, ses dissections démontraient de plus en plus les erreurs de Galien.  Jusqu’à présent, par respect pour la doctrine trop universellement acceptée, il n’avait pas osé compléter ses démonstrations.  Enfin, il osa.  Il réfuta les erreurs de Galien.  Après des années de travaux, il publia en 1543 - il avait vingt-huit ans - l’oeuvre, qui devait changer radicalement l’étude de l’anatomie humaine -  Humani corporis fabrica, sept livres, formant un grand in-folio de 824 pages - Vésale reçut dès ce jour, le nom de fondateur de l’anatomie moderne.

Mais cette œuvre si remarquable ne fut que très probablement qu’une œuvre collective, en quelques sorte le résumé de toutes ces années de travaux communs de l’école de Paris et de l’université de Padoue.
Ainsi, la démonstration anatomique de l’imperforation de la cloison qui sépare le ventricule gauche du ventricule droit, à laquelle Vésale donne l’autorité de son nom, on la doit en réalité à Béranger de Carpi.
 
Vésale ajouta beaucoup aux travaux de Galien, il les corrigea et repris en plusieurs endroits.  Mais, relativement à la circulation pulmonaire, Vésale n’avait presque rien ajouté à ce qu’avait dit l’illustre maître.
Mais un tel volume, si considérable et si brillant, sur l’anatomie ne peut, malgré tout, ni manquer d’erreurs ni manquer d’être incomplet. 
Son remplaçant dans la chaire d’anatomie de Padoue, Realdo Colombo, de Crémone, à qui l’on doit la découverte de la circulation pulmonaire, qui est le réformateur de la physiologie comme Vésale est le réformateur de l’anatomie descriptive, est autrement plus osé.  Il va plus loin encore.  Pourtant, il attribue encore beaucoup à Galien et à Vésale.

« tout en vénérant Galien comme un dieu, écrit-il, tout en attribuant beaucoup à Vésale dans l’art de la dissection toutes les fois qu’ils sont d’accord avec la nature, lorsque les choses en sont autrement qu’ils ne les ont décrites, la vérité, à laquelle je suis encore plus fortement attaché, me force de me séparer d’eux… en fait d’anatomie, je ne fais pas tant de cas de Galien et de Vésale que de la vérité ; pour moi la vérité est là où la description s’accorde avec la nature… »

On a accusé Colombo d’irrévérence, d’orgueil injustifiable envers Vésale.  Mais il faut l’écouter dans son épître dédicatoire de son livre « Re anatomica » : « lorsque, après de longs jours consacrés à la dissection de corps humains, je songeai à décrire ce que j’avais observé touchant l’anatomie, je savais qu’il ne manquerait pas de gens qui mépriseraient mes efforts comme étant inutiles et vains, et qui s’opposent sans cesse, avec grand fracas, à ceux qui veulent mettre à jour des choses nouvelles, leur Avicenne, prince, selon eux, de toutes les écoles ; Mundini, Carpi, anatomistes qui n’auraient rien laissé digne d’être ajouté à leurs travaux.  On peut en dire autant de Galien et de Vésale, après lesquels il serait orgueilleux et ambitieux de vouloir écrire sur l’anatomie du corps humain.  Néanmoins, aucun de ces esprits chagrins n’a pu me détourner d’écrire…Relativement à Vésale, je dirai tout d’abord avoir toujours parlé avec lui avec honneur, soit au foyer domestique, soit au dehors, et avoir recommandé ses écrits que tous les savants doivent avoir entre les mains….Il est de l’essence de cette noble, utile, mais difficile anatomie, que tout ce qui la concerne ne peut être embrassé par un seul homme ; et le volume si considérable et si remarquable de Vésale sur l’anatomie ne peut manquer d’erreurs.  La science ne parvient à la perfection que par les additions successives des travaux des hommes… » 

Realdo Colombo

Jalousies diverses, orgueils, crétinisme, opportunisme, honnêteté aussi, une véritable bataille rangée se livre entre tous ces savants.  Cherchant la vérité, Colombo n’hésite pas à contredire les maîtres lorsque ceux-ci se trompent. C’est très mal vu.

Vésale avait acquit assez de gloire pour en abandonner quelques bribes à l’anatomiste de Crémone.  Eh bien ! Non !  La discorde inspirée par la jalousie s’était mise entre eux.  C’est avec bonheur que l’on voit Vésale dans la première édition de « Humani corporis fabrica » en 1543, reconnaître Colombo pour son ami, son familier, et le proclamer professeur très studieux au collège de Padoue.  C’est avec déception qu’on le surprend effaçant dans la seconde édition, celle de 1555, cet hommage rendu à celui qui l’avait aidé dans ses travaux.  Cette déception augmente encore lorsqu’on constate que Vésale n’a pas craint de dire que c’était de lui que Colombo avait appris les lettres et l’anatomie.  En vérité, Vésale ne fut pour rien dans les démonstrations de Colombo.  Que du contraire, Colombo, professeur émérite, enseigna la circulation pulmonaire malgré Aristote, malgré Galien, malgré Vésale lui-même.  L’ouvrage « Re anatomica » selon certains est considéré bien supérieur à celui de Vésale.  A la différence de la « Fabrica » richement illustrée, le traité de Colombo ne contient pas d’images, et ses 269 pages se lisent avec beaucoup d’intérêt.


Les travaux et les publications de Vésale provoquèrent de vives et nombreuses polémiques.  De tous côtés, Vésale fut attaqué.  Parmi les anciens, Sylvius l’un des maîtres de Vésale à Paris, galéniste convaincu,  est tellement outré de voir Vésale attaquer le grand Galien, qu’il se fâcha tout à fait avec lui, après qu’il eut refusé de rétracter ses critiques contre le « maître ».  Pour les progressistes, son ouvrage « Humani corporis fabrica » n’était qu’une nouvelle édition, revue, corrigée et beaucoup amendée des écrits de Galien, Vésale n’allait pas assez loin.

La carrière universitaire de Vésale fut brève, six années seulement, de 1537 à 1543.  Mais en en six années, il aura modifié radicalement l’anatomie et la conception même du livre médical.  Les polémiques engendrées par ses travaux le conduiront à abandonner la recherche et l’université.  Il retournera à Bruxelles et entrera au service de Charles-Quint, pour lui, cette page est déjà tournée.  Il est devenu  un notable maintenant, une célébrité.

A suivre…


Maison de Vésale à Bruxelles










































dimanche 1 avril 2012

André Vésale, 1ere partie

Michelet écrivait : « …L’homme et son organisme, dont Vésale est le Christophe Colomb...Un Héros que Vésale.  Il enseigna à Padoue, il imprima à Bâle…Le corps humain qu’on enterrait sans le comprendre pendant tant de siècles, éclata dans la science par la description de Vésale et les planches de Titien… »

André Vésale

Bruxelles, à la fin décembre 1514, près du palais de justice actuel, dans une riche habitation de la ruelle d’Enfer,  l’un des plus prestigieux Bruxellois pousse ses premiers cris ; il s’appelle André Vésale.  
Depuis plusieurs générations, sa famille pratique la médecine : son père est pharmacien de la gouvernante des Pays-Bas, Madame Marguerite. 
Destiné par ses parents à l’exercice de la médecine, le goût de l’enfant se porte naturellement vers l’anatomie et il se fait sentir de très bonne heure.  Selon Caron, le jeune Vésale se plaisait à disséquer différentes espèces d’animaux : rats, taupes, chiens.

Ancienne ruelle d'Enfer

Le temps passe…

Le jeune Vésale vient d’atteindre sa vingtième année, et déjà son savoir est prodigieux.  Il possède le latin, le grec et l’arabe à la perfection ; l’anatomie l’attire toujours autant. 
Après avoir terminé ses études à Louvain, il passe quelques temps à l’école de Montpellier.  Rabelais et Nostradamus l’y ont précédé.  L’anatomie était à Montpellier l’objet d’une étude toute spéciale.  L’école avait obtenue l’autorisation de disséquer une fois par an, le cadavre d’un supplicié.  Malgré la renommée de l’école, Vésale s’aperçoit bientôt que Paris pourrait encore mieux satisfaire son désir de savoir.  Il quitte Montpellier en 1532, il a dix-huit ans.   A Paris, Vésale s’établit sur les bancs de Gonthier d’Andernach, médecin de François 1er.  Le roi de France qui a créé le collège de France, vient d’y attribuer la chaire d’anatomie à son médecin.  Gonthier, Vésale le connaît bien, il était professeur à Louvain.  Devant cette chaire, les élèves sont nombreux, parmi eux, se distingue un autre jeune homme, Michel Servet, lequel pour ses travaux et ses idées, finira sur le bûcher. 

 « J’ai eu dans mes travaux deux auxiliaires, savoir : André Vésale…l’autre est Michel Villanovanus (Servet), mon aide ordinaire… »

Gonthier d'Andernach

Vésale montre rapidement à tous une remarquable ardeur dans l’étude de l’anatomie.  Les leçons finies, avec les condisciples qui veulent bien le suivre, il retourne à l’amphithéâtre.  Là, il répète devant ces passionnés, l’enseignement du jour.  Le génie inspire.  Le Bruxellois ira loin.
Vésale devient pourvoyeur de cadavres pour l’école de Paris.  Rien n’est plus téméraire que de chercher un cadavre pour les cours d’anatomie.  Au cimetière des Innocents, on enlève des corps dangereux, ceux morts de maladies.  Les épidémies sont fréquentes à l’époque.  Montfaucon vaut mieux.  Mais ce sont les pendus du roi.  Les descendre d’un si important gibet - une véritable galerie à pendaison - souvent sous l’oeil des archers, est plus que risqué.  Le cachot ou pire encore attend l’intrépide qui se fait prendre.  Et puis il y a les parents, qui veillent souvent leurs morts, le peuple aussi, mêlant haines, terreurs et contes de corps ouverts vivants par les médecins.  Contes pas tout à fait faux par ailleurs.  Vésale, un jour, disséquant un cadavre, aura une désagréable surprise.  L’anatomiste, devant ses élèves, après avoir enfoncé son scalpel dans la poitrine inerte du corps étendu sur la table, verra  brusquement le sujet se réveiller en poussant un grand cri.  Celui qu’il avait pris pour un mort n’était qu’un léthargique !  Bien entendu, ce genre d’événement ne passe pas inaperçu.

Montfaucon

De Paris, Vésale retourne à Louvain où il occupe la place de prosecteur (aide-anatomiste) et de démonstrateur public d’anatomie.  Là, dans l’ancienne capitale des ducs de Brabant, incorrigible – il a pris goût, le bougre - il ira subtiliser, non sans quelques difficultés, le squelette d’un pendu qu’il présentera à ses collègues comme un souvenir rapporté de Paris.  Il est toujours bon d’être prudent dans ce genre d’affaire.  Bientôt il partira pour l’Italie.  il s’en ira pour un autre laboratoire, meilleur encore : l’armée de Charles-Quint. 1538-1539, l’armée décimée, détruite, les corps ne manquèrent pas à Vésale. 

Louvain

Terre de conflits, terre privilégiée aussi, l’Italie vers laquelle se dirigeaient non seulement les armées, mais aussi les poètes et les savants, les artistes et les penseurs.  L’étude de la médecine, de l’anatomie y régnaient en toute  splendeur.  Protégés par des lois et des tolérances, qui remontaient au début du XIIIe siècle, les savants scrutaient la nature humaine sur l’homme même.  Le grand Galien, médecin de l’empereur romain Marc-Aurèle, pratiquait quant à lui sur des singes. 
Pendant onze siècles, les opinions de ce médecin de Pergame régnèrent sur l’enseignement de la médecine.  On ne chercha plus à progresser ou même à vérifier les travaux  du maître Galien  « affirmer d’après la parole du maître » déclarait-on souverainement. 

Ce fut en 1213, que la célèbre école de Salerne reprit à cœur les travaux anatomiques.  L’on se résolut d’étudier non plus les animaux comme le maître, mais cette fois-ci, le corps humain.  L’enseignement se fit dès lors sur un plan général et les corps enseignants prirent le nom d’universités.
Chaque ville voulut l’emporter sur ses voisines par la beauté de ses universités et la célébrité de ses professeurs.  Les amphithéâtres s’élevaient de toutes parts.  Ils regorgeaient d’élèves avides de connaissances.  L’université de Padoue surtout était renommée dans le monde entier.  Là, professèrent l’anatomie, Jean-Baptiste Lombard, François Litigatus, André Vésale, Jean-Paul Guiducius, Gabriel Fallopio, Pierre Maynard, Mathieu Realdo Colombo, Jérôme Vails et Antoine Montidocia. 

On doit à Benoît Alexandre de Legnano, médecin en chef des armées vénitiennes à l’époque du roi de France Charles VIII, la première institution d’un théâtre anatomique et les premières notions d’anatomie pathologique.  Cependant tout cela ne va pas très loin, on se contente d’ouvrir les corps et de montrer les principaux organes.  Cette science était encore si peu avancée, que l’on traitait avec des drogues et des sirops les contusions et les luxations.  Et devant l’inexplicable, les médecins avaient un moyen sûr et facile de se tirer d’affaire, ils invoquaient, selon le cas, la puissance divine ou le miracle.

Après la bataille, le chirurgien aux armées

Les découvertes, à mesure qu’elles étaient faites, étaient ajoutées sous forme d’un commentaire à l’ouvrage du Bolonais Mondino, texte de référence unique pendant trois siècles.  Avec Berengario de Carpi, professeur à Bologne, la révolution est en marche.  Il recommandait à ses élèves de ne pas se contenter des assertions des autres, mais d’observer par eux-mêmes.  Il disséqua ainsi des centaines de cadavres, audace sans exemple en dehors de l’Italie. 

Une seule pensée hante ces écoles ; une recherche parallèle à celle du mouvement des cieux : l’étude du mouvement intérieur de l’homme.  Cent ans durant, on poursuivra ce mystère.  L’observation de la gravitation de la vie et la circulation du sang va enthousiasmer l’époque.    

On savait déjà que les artères étaient pleines de sang et non d’air.  Le cœur était reconnu comme le centre et la cause du mouvement artériel et du pouls.
Dès le commencement du siècle, on discuta la question de la saignée.  Où vaut-il mieux saigner ?  Au mal, ou loin du mal, pour en distraire le sang et l’attirer ailleurs ?  Cela conduisit à chercher comment circule le sang.  A Padoue, Acquapendente décrira les valvules qui, baissées, relevées tour à tour, admettent et ferment la circulation.  Mais l’avis d’une majorité de scientifiques est tout autre.  A leurs voix s’ajoute même celle de Vésale.  Malgré les preuves, les descriptions et les publications, ces doctrinaires continuent à nier l’existence de ces portes.  On ne se dégage pas aussi facilement de Galien et de la sacro-sainte tradition d’affirmer d’après la parole du maître.

Comme on vient de le voir, au milieu de cette brillante compagnie, Vésale, qui enseigne déjà, a encore de la peine à se séparer du médecin de Pergame.  Son génie suspendu à sa jeunesse hésite encore à s’envoler et de dire autrement que le « prince des médecins ».  Sur la circulation sanguine, il partage encore la plupart des erreurs qui ont cours dans les écoles.  Il n’ose pas encore se mettre en désaccord avec Galien.  Il se déclare « embarrassé pour dire quel rôle exacte le cœur joue dans ce phénomène ».

A suivre...